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Aspects régulatoires des ICOs

Guide pratique de la FINMA sur les ICOs ou valeurs mobilières à géométrie variable ?

La frénésie suscitée par l’envolée du cours du Bitcoin, respectivement de l’Ether, ainsi que l’entrée massive de capitaux dans le marché des cryptomonnaies en 2017 a non seulement attiré la curiosité des investisseurs mais également celle de la FINMA. Jusqu’au 16 février dernier, le régulateur helvétique s’était contenté d’observer le phénomène des ICOs (Initial Coin Offerings) ou, plus généralement, des TGEs (Token Generating Events) avant de publier une communication le 29 septembre 2017 dans laquelle il mettait en garde contre le risque régulatoire que comporte un TGE, en particulier sous l’angle de la surveillance des marchés financiers.

La création d’un groupe de travail sur la technologie « blockchain » et les ICOs par le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales en début d’année laissait la FINMA seule sans réaction. La discrétion de notre régulateur quant à sa manière d’appréhender les ventes de tokens peut s’expliquer par l’hésitation des autres Etats à se positionner face à l’essor des blockchains, tant ces évolutions technologiques sont susceptibles de menacer leur fondement. La Suisse, jouit actuellement d’une situation privilégiée dans la mesure où un grand nombre de TGEs a été mené en 2017 sur son sol. Cependant, cette activité (de création et vente de jetons numériques) peut dans certains cas se confondre avec les mécanismes des marchés de capitaux et, par conséquent, tomber sous le coup d’un assujettissement à l’une des lois sur les marchés financiers.

Les parties prenantes, investisseurs compris, retenaient depuis longtemps leur souffle en attendant une prise de position de la FINMA face au phénomène des TGEs. Le suspense est arrivé à son terme vendredi 16 février dernier avec la publication du guide pratique pour les questions d’assujettissement concernant les initial coin offerings (ICO). Une première lecture permet d’aboutir à la conclusion que les TGEs ne pourront être appréhendés, d’une manière cohérente, qu’à travers une modification du droit. Par soucis de concision, nous nous limiterons ici à une analyse de lege lata de la classification des jetons numériques opérée par la FINMA :

  • le jeton de paiement ne présente aucune similitude avec les valeurs mobilières traditionnelles. Il n’a pour fonction que de servir de moyen de paiement et n’est donc pas traité comme une valeur mobilière par la FINMA. L’émetteur sera assujetti à la LBA en tant qu’il revêt la qualité d’intermédiaire financier (art. 2 al. 3 let. b LBA). Il est intéressant de noter que la FINMA reste silencieuse sur une éventuelle qualification juridique des plateformes proposant ce type de tokens comme système de paiement (art. 81 LIMF) ;
  • le jeton d’utilité, ensuite, conférant « un droit d’accès à un usage ou à un service numériques » ne tombe pas sous la qualification de valeur mobilière s’il est directement utilisable au moment de sa création. Il aurait été opportun de définir avec plus de précision ce qui est entendu par « directement utilisable ». En effet, ce critère est-il rempli si la plateforme ou l’application est en version Beta  ? Un token pourrait donc être qualifié de valeur mobilière à un moment donné (lorsqu’il n’est pas directement utilisable) puis, dans un deuxième temps, ne plus être qualifié ainsi lorsqu’il peut être utilisé par son acquéreur. Avons-nous dès lors à faire à une valeur mobilière à géométrie variable ?

La FINMA précise également qu’un utility token est traité comme une valeur mobilière s’il intègre « totalement ou partiellement » une fonction économique d’investissement. On perçoit sur ce dernier élément une influence du Howey test américain : le critère de « fonction économique d’investissement » ne ressortant pas de la définition suisse de valeur mobilière. Un token aura le plus souvent vocation à être échangeable et donc susceptible de se voir listé sur une plateforme d’échange. Une interprétation restrictive du guide pratique amènerait ainsi à considérer qu’il y aurait toujours une fonction économique d’investissement rendant tout token susceptible d’être qualifié de valeur mobilière ;

  • le jeton d’investissement, enfin, est assimilé à une valeur mobilière (soit en tant que droit-valeur, soit en tant que dérivé) s’il est standardisé et susceptible d’être diffusé en grand nombre sur le marché. Lors d’un TGE, la pratique tend à conférer des droits conçus pour une catégorie limitée d’acquéreurs (notamment un prix préférentiel accompagné d’une période de blocage). Ces droits ne peuvent généralement pas être revendus sur le marché secondaire. Ils pourraient ainsi ne pas remplir les critères de standardisation et de diffusion en grand nombre sur le marché et partant ne pas être qualifiés de valeurs mobilières.

Les plateformes d’échanges sises en Suisse devront désormais être au bénéfice d’une autorisation de la FINMA pour pouvoir lister de tels tokens. De plus, si un token revêt les caractéristiques d’un dérivé, il ne pourra être proposé à la vente que par une entité ou une personne physique disposant d’une autorisation de négociant si ces dernières exercent une activité principalement dans le domaine financier en qualité de fournisseurs de dérivés.

Si la FINMA s’accorde à qualifier de droits-valeurs les jetons qui « ont une fonction économique d’investissement » en argumentant que la condition formelle posée par le Code des obligations (soit l’inscription des droits-valeurs dans le journal des droits-valeurs du débiteur) est réalisée également lorsque le journal est géré sous une forme numérique sur une blockchain, elle reste silencieuse sur les conséquences tirées de cette qualification. En effet, si certains jetons sont qualifiés de droits-valeurs, alors leur transfert ne peut s’opérer que moyennant une cession écrite (art. 973c al. 3 CO). Cette exigence paraît peu conciliable avec la technologie elle-même dans la mesure où le transfert d’un jeton sur la blockchain s’effectue de manière totalement dématérialisée et sans être constaté par écrit (art. 165 al. 1 CO). Le transfert d’un jeton d’un wallet à un autre n’emporterait ainsi pas le transfert de sa propriété.

Nous entre-apercevons ici les limites de l’application des lois existantes aux TGEs. Si ce guide pratique présente l’avantage d’offrir plus de transparence sur la manière dont la FINMA appréhende cette activité, il ne fait nul doute qu’une adaptation de la législation en vigueur est nécessaire afin d’encadrer de manière cohérente cette nouvelle activité.