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Blanchiment d’argent

Violation du devoir d’annonce et prescription pénale

Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a classé une procédure de droit pénal administratif contre la Banque cantonale de Fribourg (BCF) pour violation, par négligence, du devoir d’annonce d’un soupçon de blanchiment d’argent au MROS (art. 37 al. 2 LBA cum art. 9 LBA). Les juges de Bellinzone ont en effet estimé que la prescription de l’action pénale de sept ans applicable à l’art. 37 al. 2 LBA était acquise (jugement du 23 novembre 2017, SK.2017.38).

Le 1er juin 2010, un virement suspect de 190’000 euros est effectué sur un compte ouvert au nom de la société B. SA dans les livres de la BCF. Suite à une plainte déposée par l’administrateur unique de la société contre diverses personnes impliquées dans la transaction précitée, une procédure pénale est ouverte le 14 juin pour blanchiment d’argent et escroquerie.

Près de 7 ans plus tard, en février 2017, le Département fédéral des finances (DFF) introduit une procédure de droit pénal administratif pour violation du devoir de communication (art. 37 LBA) contre des responsables de la BCF. Par prononcé pénal du 19 juin 2017, le DFF, faisant application de l’art. 49 LFINMA, condamne la banque en lieu et place des personnes physiques susmentionnées.

La BCF ayant requis d’être jugée par un tribunal conformément à l’art. 72 DPA, le cas monte au TPF. Or, les juges de Bellinzone parviennent à la conclusion que le délai de prescription de sept ans a commencé à courir le 14 juin 2010. La prescription était donc acquise le 14 juin 2017, soit cinq jours avant le prononcé pénal du DFF emportant son interruption.

Le raisonnement du TPF est le suivant. L’art. 37 LBA est une infraction continue, de sorte que la prescription commence à courir, conformément à l’art. 98 let. c CP, au jour où le devoir d’annonce de l’intermédiaire financier au sens de l’art. 9 LBA s’éteint. Or, selon le TPF, « [l]’obligation de communiquer prend fin lorsqu’elle n’est plus objectivement justifiée par le but poursuivi par l’art. 9 LBA, notamment lorsque les autorités pénales sont saisies et suffisamment renseignées quant à l’état de fait pour pouvoir ordonner des mesures tendant à la découverte et au séquestre des valeurs patrimoniales litigieuses et ce, même si la saisine des autorités intervient par le biais d’une tierce personne et à l’insu de l’intermédiaire financier » (consid. 3.3). A l’appui de son raisonnement, le TPF se réfère à un ATF 142 IV 276 et à un jugement du TPF SK 2014.14 du 18 mars 2015, rendus dans le cadre de la même affaire. Ainsi, le délai de prescription aurait commencé à courir le 14 juin 2010, date de prise de connaissance de la plainte par les autorités compétentes, et de l’ouverture simultanée de la procédure pénale portant sur la transaction de 190’000 euros qui aurait dû faire l’objet, par la BCF, d’une communication au MROS.

Cela étant, dans la mesure où le délai de recours au Tribunal fédéral (TF) n’est pas échu, la messe ne nous semble pas encore dite. La position du TPF quant à la date de fin du devoir de communication ne nous paraît pas tout à fait convaincante. A cet égard, le TPF adopte une interprétation des deux décisions qu’il mentionne que nous ne partageons pas entièrement.

Ces décisions avaient pour trame la condamnation d’un agent fiduciaire et gérant de fortune pour violation de l’obligation de communiquer en lien avec des transactions douteuses passées par le compte d’une société dont l’accusé était directeur. Dans cette affaire, le TPF, suivi du TF, a effectivement retenu comme moment déterminant pour l’extinction du devoir d’annonce la date d’introduction de la poursuite pénale par le Ministère public de la Confédération. Mais, dans le cas d’espèce, cette ouverture avait été simultanément accompagnée du séquestre des valeurs litigieuses. Ces dernières faisaient d’ailleurs déjà l’objet d’un blocage provisoire par la banque dépositaire du compte récipiendaire conformément à l’art. 10 LBA. Or, dans son jugement du 23 novembre, le TPF ne fait pas dépendre la fin de l’obligation de communication du séquestre du compte litigieux, mais de la seule saisine des autorités pénales. La différence est pourtant de taille. Dans la première hypothèse les valeurs patrimoniales sont bloquées, dans la seconde pas nécessairement, de sorte que le risque perdure que les avoirs litigieux s’évanouissent dans la nature. Ainsi, il nous paraît a priori raisonnable d’admettre que l’obligation de communiquer qui, sur la base de l’art. 10 LBA, peut aboutir très rapidement au blocage provisoire des valeurs, se justifie tant que celles-ci n’ont pas été séquestrées et, donc, qu’elles peuvent être soustraites à la mainmise de la justice pénale.

Il appartient évidemment aux autorités de poursuite, lorsque des soupçons de blanchiment d’argent sont portés à leur connaissance, de réagir avec promptitude pour éviter une possible disparition des valeurs patrimoniales de provenance douteuse. A notre sens toutefois, un tel devoir ne décharge pas encore eo ipso l’intermédiaire financier de sa propre obligation de communication.