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Mandat de gestion et calcul du dommage

Le Tribunal fédéral rejette l’application d’un portefeuille hypothétique

Le Tribunal fédéral a confirmé dans un bref arrêt du 10 octobre 2016 (4A_280/2016) un jugement rendu par le Tribunal cantonal de Zurich (LB150026) qui exclut de calculer le dommage par comparaison avec un portefeuille hypothétique dans un litige portant sur un mandat de gestion.

L’affaire jugée portait sur un compte ouvert par la mère de B., né en 1981. Celle-ci avait confié, en 1995, à une société externe à la banque, A. AG, un mandat de gestion et l’avait également désignée comme exécuteur testamentaire. L’autorité compétente nomma C., président du conseil d’administration de A. AG, tuteur de B., mineur au décès de sa mère en 1998. Suite à une dispute avec C., B. résilia le mandat de gestion fin mars 2004. B. ouvrit action le 19 novembre 2010 à l’encontre de A. AG réclamant paiement de CHF 378’173.11, plus intérêts à 5 % dès le 7 avril 2009. Il reprochait à la défenderesse, des opérations non-autorisées sur des options négociables (traded options). Pour calculer son dommage, le demandeur utilisa deux méthodes. La première consistait en un calcul concret du dommage listant chaque opération sur option et la perte correspondante. La seconde méthode confrontait le résultat du portefeuille administré en violation du mandat avec celui d’un portefeuille hypothétique (Pictet LLP-Index 93). Le Tribunal de district retint que le demandeur n’avait pas été suffisamment informé du risque lié aux opérations sur options, qui n’avaient été ni approuvées ni ratifiées, et condamna A. AG au paiement de CHF 319’571.10, avec intérêts de 5 % dès le 7 avril 2009. Etant donné que le demandeur avait chiffré la perte au moyen de la liste susmentionnée, le Tribunal de première instance jugea qu’il était inutile de calculer le dommage par référence à un portefeuille hypothétique. Ce jugement fût confirmé tant par le Tribunal cantonal de Zurich que par le Tribunal fédéral.

Par devant notre Haute Cour, la défenderesse fit grief à l’instance inférieure d’avoir commis une erreur de droit dans le calcul du dommage en ne prenant en compte que les pertes résultant des opérations sur options. Elle reprocha également au Tribunal cantonal de ne pas avoir considéré le résultat de la gestion des avoirs dans son ensemble. A. AG avait allégué qu’une comparaison de la gestion effectuée à un autre « benchmark » que l’indice Pictet démontrait que le portefeuille de B. avait subi en réalité une perte moins élevée que celle qui aurait résulté d’un portefeuille hypothétique, de sorte qu’aucun dommage ne pouvait être retenu.

Le Tribunal fédéral a confirmé qu’une comparaison de portefeuille n’avait pas lieu d’être quand un calcul concret du dommage est possible et réellement démontrable en l’espèce. Les pertes peuvent être compensées par les profits dûment prouvés par le défendeur. Cela dit, les gains obtenus de la gestion conforme du portefeuille ne peuvent être compensés avec les pertes résultant d’opérations non-conformes. Dans le cas d’espèce, le demandeur avait démontré les pertes concrètes résultant des opérations non-autorisées sur options et les tribunaux zurichois avaient bien pris en compte les profits prouvés par A. AG liés à ces opérations.

Un constat hâtif de ce jugement du Tribunal fédéral pourrait faire croire à un revirement de sa jurisprudence bien établie considérant que, dans le cadre d’un mandat de gestion, le dommage peut être calculé en comparant le résultat du portefeuille administré en violation du mandat avec celui d’un portefeuille hypothétique (voir p. ex. 4A­_351/2007). Cependant, il s’agit en fait d’une exception à cette jurisprudence constante. En effet, le Tribunal cantonal s’est référé dans sa décision à un arrêt 4C.158/2006 du Tribunal fédéral qui portait sur une affaire dans laquelle une banque avait omis de vendre des actions alors que le cours chutait. Le Tribunal fédéral avait alors distingué deux types de violations contractuelles, soit (i) les violations relatives à la stratégie d’investissement (mauvaise gestion du portefeuille dans son entier) et (ii) les violations portant sur des investissements individuels (mauvaise gestion confinée à des postes particuliers du portefeuille). Dans le premier cas, le calcul du dommage doit porter sur l’ensemble du portefeuille. Dans le deuxième, la détermination du dommage devrait être limitée aux investissements litigieux. Le Tribunal fédéral citait quant à lui une doctrine qui préconisait cette distinction à l’aune de l’étendue des actes de gestion litigieux, soit entre (i) une gestion globale ou majoritairement non-conforme à la stratégie convenue et (ii) quelques investissements litigieux opérés dans le cadre d’un portefeuille géré de manière conforme.

Cette dichotomie jurisprudentielle est certes louable au regard de l’objectif poursuivi qui est de déterminer le dommage selon une méthode visant à replacer le lésé dans la situation qui aurait été la sienne sans la survenance de l’événement dommageable. Le calcul concret tel qu’admis dans l’arrêt ici commenté (au contraire de 4C.158/2006) fait néanmoins totalement abstraction des conditions de marchés (haussier ou baissier) qui prévalaient durant la période critique, le dommage étant égal à la perte réelle entre l’opération d’achat et de vente de l’investissement. La valeur de réinvestissement de la perte n’est pas prise en considération. Le client lésé ne bénéficie ainsi pas d’un marché haussier (intérêt positif) et le gérant ne peut prétendre au paiement d’un dommage réduit en cas de marché baissier. Par ailleurs, l’application d’un calcul concret pourrait se révéler d’une complexité extrême s’il devait porter sur des investissements plus complexes que des actions ou options négociables, tels que des options exotiques ou produits structurés. En effet, ces produits ne sont pas forcément côtés et liquides. Ils peuvent en outre stipuler des dizaines de fixing dates/settlement dates et la documentation bancaire ne permet pas toujours de réconcilier les opérations. Cette exception jurisprudentielle devra encore être précisée pour assurer une sécurité juridique accrue.