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Projets LSFin/LEFin

Le trustee sous le projet LEFin : rencontre de deux mondes

Le trust, figure discrète mais bien présente dans le paysage helvétique, entame une nouvelle étape dans son processus d’intégration et de reconnaissance en Suisse. Après la ratification de la Convention de la Haye sur les trusts (la « Convention ») en 2007, et ensuite des aménagements du droit interne opérés par le législateur, les autorités s’intéressent désormais au gardien du trust, le trustee.

En effet, dans le cadre de la réforme du droit suisse des marchés financiers, le Conseil fédéral a, en novembre 2015, intégré les trustees dans son projet de loi sur les établissements financiers (« P-LEFin ») et soumis ces derniers à une réglementation prudentielle, à l’image de celle prévue pour les gérants de fortune. La Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats n’a pas, à teneur de son Communiqué de presse du 17 octobre 2016, modifié le régime d’autorisation et de surveillance des trustees.

L’actuel P-LEFin renferme donc la première tentative du législateur suisse de définir le trustee, figure protéiforme qui reflète bien l’extraordinaire malléabilité du trust, ce « patrimoine distinct » aussi insaisissable qu’il est indéfinissable. Est ainsi réputé trustee « quiconque administre ou dispose à titre professionnel d’un patrimoine distinct en faveur d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé sur la base d’un apport lié indiqué notamment dans l’acte constitutif d’un trust au sens de la Convention de la Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance ». Ses fonctions consisteraient à (i) gérer la fortune distincte, (ii) veiller au maintien de sa valeur et (iii) l’utiliser conformément à son application, bien qu’il pourrait également fournir des conseils en placement, des analyses de portefeuille et offrir des instruments financiers.

Cette définition ouvre le débat sur deux points essentiels de la réglementation prudentielle des trustees.
I. Qui agit en qualité de trustee ?

Pour appréhender le trustee, le législateur s’appuie essentiellement sur la définition du trust fournie par la Convention. Or, celle-ci ne contient pas en soi de définition du trust mais se contente, à son art. 2, d’indiquer les caractéristiques que doit présenter une institution – qu’il s’agisse d’un trust d’un pays de common law ou d’une institution analogue d’un autre pays – pour tomber sous le coup de la Convention. En effet, si la Conférence de la Haye souhaitait initialement limiter le champ d’application de la Convention au trust « anglo-américain », elle s’est finalement résolue à inclure des institutions autres que le trust de common law proprement dit, à condition qu’elles répondent aux critères de l’art. 2.

Le législateur suisse paraît toutefois vouloir aller plus loin encore que la Convention, puisqu’il prévoit qu’un « trustee » agit sur la base d’un apport lié indiqué notamment (« namentlich », « segnatamente », « namely ») dans l’acte constitutif d’un trust au sens de la Convention. Le Message du Conseil fédéral précise néanmoins que « le renvoi à la Convention de la Haye a […] pour but de prévenir l’extension du champ d’application de la loi à des personnes qui […] n’exercent pas l’activité de gestion de fortune au sens de la LSFin et de la LEFin ».

Il semblerait ainsi que l’objectif principal du législateur consiste à réglementer l’activité de gestion de fortune au sens large. Là où le gestionnaire de fortune au sens du P-LEFin agirait « au nom et pour le compte de clients », le trustee agirait juridiquement « en son nom propre et pour son propre compte » mais dans les faits « en son nom propre et pour le compte de clients », puisqu’il conserverait l’obligation (fiduciaire ?) d’utiliser la fortune en faveur des bénéficiaires ou dans un but déterminé et de rendre compte de sa gestion.
II. Le P-LEFin permet-il de remplir les objectifs poursuivis par le législateur ?

La structure trustale a autant de visages que le trust a d’usages. L’industrie suisse du trust se caractérise notamment par le fait que la fonction de trustee (trusteeship function) est souvent séparée de la fonction de gérant (management function).

Pour ne citer que les situations les plus évidentes, on pensera au trustee étranger qui désigne un gérant suisse pour administrer le patrimoine du trust localisé en Suisse, ou encore au trustee qui constitue une société à la laquelle il transfère le patrimoine du trust et délègue l’administration.

Qui agirait ainsi en qualité de « trustee » au sens de l’art. 16 al. 2 P-LEFin ? Tant le gérant que la société administrent et/ou disposent du patrimoine d’un trust, mais ne tirent en principe pas leurs pouvoirs d’un acte constitutif d’un trust au sens de la Convention de la Haye, alors que le trustee conserve des pouvoirs de gestion et de disposition plus ou moins étendus selon la structure choisie, en particulier le pourvoir suprême de révoquer le mandat du gérant ou de liquider la société.

Malgré ces incertitudes, on ne peut qu’applaudir ce premier pas du législateur. Une prise de position claire s’impose néanmoins s’agissant (i) des institutions visées par la réglementation et (ii) des intervenants soumis à réglementation. En raison des nombreux intervenants susceptibles de s’impliquer dans une structure trustale de common law (trustee, protector, settlor, nominee(s), bénéficiaires, agents/gérants, sociétés etc.), il en va de la sécurité du droit de déterminer avec précision quelles activités doivent être surveillées.

Une réglementation en Suisse des « trust service providers » plutôt que du simple « trustee » (notion imprécise et « fourre-tout » sous l’actuel P-LEFin) permettrait de mieux appréhender les différentes situations susceptibles de se présenter en pratique et de réglementer l’industrie de façon cohérente, ceci afin de garantir la compétitivité internationale de la place financière suisse.