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Clause de prorogation de for et protection du consommateur

Le TF atténue la portée de l’art. 15 par. 1 let. c CL

Dans un arrêt 4A_430/2015 du 9 février 2016, destiné à la publication, le Tribunal fédéral (TF) s’est prononcé sur la validité d’une clause de prorogation de for eu égard aux normes de protection des consommateurs de la Convention de Lugano (CL).

La CL reconnaît une compétence (en principe) exclusive aux tribunaux choisis par les parties. Elle prévoit cependant des normes protectrices en faveur du consommateur en lui facilitant l’accès à la justice lorsqu’il est demandeur et lui garantissant le respect du for de son domicile lorsqu’il est défendeur.

La notion de consommateur s’est trouvée élargie avec l’entrée en vigueur de la CL révisée. À côté de la vente à tempérament et du prêt à tempérament, la CL appréhende tout contrat qui remplit les deux conditions suivantes (le fardeau de la preuve incombant au cocontractant invoquant les normes de protection ; ATF 139 III 278) :

– le contrat est étranger à l’activité professionnelle de l’un des cocontractants, dit consommateur, et entre dans le cadre des activités commerciales ou professionnelles de l’autre cocontractant ;

– l’autre cocontractant exerce les activités commerciales ou professionnelles en cause dans l’Etat où le consommateur a son domicile ou, alternativement, il les exerce ailleurs mais il les « dirige » vers cet Etat (art. 15 par. 1 let. c CL).

En l’espèce, une personne domiciliée en France dans une zone limitrophe au canton de Genève a ouvert en 2004 une relation bancaire auprès d’un établissement genevois. Les documents d’ouverture de compte contenaient des clauses d’élection de droit suisse et de for en faveur des tribunaux genevois.

En 2008, le client a contesté un débit en lien avec l’achat d’actions sur le marché OTC et actionné la banque en responsabilité à Genève. Tant les instances cantonales que le TF (cf. arrêt 4A_271/2011) l’ont débouté de ses conclusions, considérant qu’aucun manquement ne pouvait être reproché à la banque.

En 2013, le compte du client présentait un découvert. La banque a requis avec succès du Tribunal de grande instance de Thonon l’inscription provisoire d’une hypothèque judiciaire sur divers immeubles du client sis en France. En validation de cette inscription, la banque a assigné le client en septembre 2013 à Genève en paiement du solde dû. Le client a alors excipé de l’incompétence ratione loci des juridictions genevoises en invoquant les normes de protection des consommateurs de la CL. Subsidiairement, il a fait valoir que la banque avait tacitement abandonné sa créance (art. 115 CO) en s’abstenant de prendre des conclusions reconventionnelles dans le premier procès ouvert en 2008, et a présenté des conclusions reconventionnelles en lien avec le dommage qu’il estimait avoir subi. Les instances genevoises rejetèrent l’exception d’incompétence, accueillirent l’action principale de la banque et rejetèrent l’action reconventionnelle du client. Le client interjeta un recours en matière civile que le TF rejeta à son tour.

En substance, le TF a considéré que la relation bancaire entre les parties n’avait aucun rapport avec les activités professionnelles du client et qu’elle s’inscrivait bien dans les activités commerciales de la banque. Toutefois, bien que la banque exerçait des activités commerciales en France, il n’existait aucun lien de connexité entre les activités commerciales de la banque en France et l’ouverture de la relation avec le client. En outre, en l’absence de toute forme de publicité ou de prospection pratiquée par la banque et spécialement destinée à induire des consommateurs résidant hors de Suisse à prendre contact avec celle-ci, les activités commerciales de la banque en Suisse n’étaient aucunement « dirigées » vers la France. Selon le TF, si les banques suisses ont historiquement pu attirer des capitaux étrangers grâce aux particularités de l’économie et du système juridique suisses et ainsi pu bénéficier d’un avantage compétitif par rapport à leurs concurrentes étrangères, cela ne signifie pas encore que les banques suisses « dirigent » leurs activités commerciales vers l’étranger. Le TF relève également que l’art 15 par. 1 let. c CL ne vise pas spécifiquement des relations de « voisinage transfrontalier, où le consommateur n’a pas besoin d’une protection juridique particulière ». Sur le fond, le TF a constaté que le client est tenu de rembourser à la banque les avances et frais liés à l’acquisition des titres litigieux (art. 402 al. 1 CO) en retenant que les conditions d’une remise de dette passive n’étaient pas réalisées.

L’arrêt du TF doit être salué en ce qu’il énonce clairement que les normes de protection des consommateurs de la CL présupposent un lien qualifié avec l’Etat de domicile du consommateur et que l’avantage compétitif que peuvent tirer les banques suisses des spécificités de la place financière helvétique ne permet pas à lui seul de conclure à l’existence d’un tel lien. L’arrêt du TF sonne en ce sens comme un message adressé aux tribunaux des autres Etats parties à la CL et à la Cour de justice de l’Union européenne. Par ailleurs, en atténuant la protection des consommateurs qui résident dans des zones limitrophes à un autre Etat contractant et y effectuent couramment des transactions, le TF ouvre la porte à une interprétation de la CL basée sur les besoins réels de protection du consommateur.

Cela étant, il convient de garder à l’esprit que les considérants de l’arrêt du TF n’auront de portée dans les autres Etats parties à la CL que dans la mesure où les tribunaux de ces derniers les jugent « pertinents » (cf. art. 1 du protocole 2, CL). Vu la tendance actuelle sur le plan international vers un renforcement de la protection des consommateurs dans le domaine financier, il n’est pas du tout certain que tel soit le cas. Ainsi, si l’arrêt du TF a le mérite d’assurer une certaine sécurité du droit en restreignant les conditions d’invalidation d’une clause de prorogation de for, il n’atténue pas pour autant les risques juridiques civils que les prestataires de services financiers opérant à l’échelon transfrontière doivent maîtriser.