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Financement intragroupe

Le TF confirme la licéité d’une restitution d'agio sous forme de dividende et renonce à trancher celle de la participation à un "cash pooling"

Dans un arrêt destiné à la publication du 16 octobre 2014 (4A_138/2014), le Tribunal fédéral (TF) s’est penché sur d’importantes questions en matière de droit de sociétés, notamment concernant la participation d’une filiale suisse à un cash pooling et la restitution d’agio sous forme de dividende. D’après certains commentateurs, cette décision s’inscrirait dans le cadre de la faillite de Swissair Group et concernerait la filiale Swisscargo SA, en liquidation concordataire (la Filiale).

La Filiale faisait partie d’un groupe de sociétés qui avait mis en place dès 1991 un système de gestion de trésorerie (cash management system) selon le modèle du « physical cash pooling », et plus particulièrement celui de « zero-balancing cash pool ». Ce système, qui concentre les liquidités d’un groupe, permet notamment de réduire les frais bancaires et assure une réaction plus rapide aux opportunités et menaces de marché (market opportunities and threats).

En l’espèce, chaque entité du groupe participant au cash pool (cash pool member) avait conclu avec une autre entité du groupe agissant en qualité de chef de file du cash pool (cash pool master), un Reciprocal Framework Agreement. Aux termes de cet accord : (i) l’entité participante acceptait de transférer quotidiennement ses liquidités sur un compte (master account) détenu par le cash pool master auprès de la même banque ; (ii) le cash pool master s’assurait que les comptes présentant des soldes négatifs étaient équilibrés. À la fin de chaque journée, le compte des participants présentait ainsi un solde nul (zero balance). Juridiquement, ces transferts prenaient la forme de prêts intragroupes. Les créances entre chaque participant et le cash pool master étaient compensées dans le cadre d’une relation de compte courant.

Selon les états financiers de la Filiale au 31 décembre 2000, ses passifs s’élevaient à CHF 35.35 millions et se composaient des postes suivants : capital-actions (CHF 2.5 millions), agio (CHF 2.43 millions), réserve légale générale (CHF 1.25 millions) et bénéfice (CHF 29.17 millions). Les actifs de la Filiale présentaient une position loans to fully-cons. companies d’un montant total de CHF 23.65 millions. Cette dernière comprenait (i) une créance de CHF 16.5 millions à l’encontre du cash pool master au titre du cash pooling (prêt cross-stream) et (ii) une créance de CHF 7.2 millions envers son actionnaire direct au titre d’un dépôt à terme (prêt up-stream).

En juin 2001, l’assemblée générale de la Filiale approuva une distribution de dividende d’un montant de CHF 28.5 millions sur la base du rapport de l’organe de révision. Le paiement du dividende s’effectua par virement au débit du compte de la Filiale. Le solde du compte de la Filiale (et par voie de conséquence sa créance en compte courant à l’encontre du cash pool master) passa de CHF 34.8 millions à CHF 6.3 millions.

La situation financière du groupe se détériora peu après, ce qui conduisit la banque à résilier ses rapports avec le cash pool master avec effet au 31 octobre 2001. La plupart des sociétés du groupe tombèrent en liquidation concordataire par la suite.

La masse en liquidation concordataire de la Filiale intenta en décembre 2008 une action devant l’Handelsgericht du canton de Zurich contre l’organe de révision. Elle arguait qu’en avalisant la proposition du conseil d’administration l’organe de révision avait causé un dommage d’un montant de CHF 4.07 millions (correspondant au dividende de liquidation qui aurait pu être touché dans le cadre de la liquidation du cash pool master si la distribution illicite n’avait pas été autorisée) dont il répondait en vertu des art. 755 CO ss. Cette argumentation fut suivie en partie par l’Handelsgericht et le TF.

Le TF a tout d’abord confirmé l’avis de la doctrine majoritaire selon lequel l’action en responsabilité fondée sur les art. 754 CO ss n’était pas subsidiaire à l’action en restitution de l’art. 678 CO. La masse en liquidation était ainsi légitimée à intenter une action en responsabilité sans qu’une violation du Schadenminderungspficht puisse lui être reprochée.

Notre Haute Cour a ensuite rappelé que les prêts intragroupes up-/cross-stream contreviennent à l’interdiction de remboursement du capital consacrée à l’art. 680 al. 2 CO s’ils ne respectent pas le principe de pleine concurrence (arm’s length principle). Conformément à l’avis de certains auteurs, une réserve doit être constituée pour un montant correspondant (art. 659a al. 2 CO p.a.). La question de la licéité d’une participation au système de cash pooling est restée ouverte, dès lors que les prêts violaient le principe de pleine concurrence : ils n’étaient pas garantis par une quelconque sûreté ; l’accord entre les parties ne prévoyait ni le versement d’un intérêt ni les conditions de remboursement ; la solvabilité des débiteurs n’avait pas fait l’objet d’une évaluation préalable. Il en résultait que l’organe de révision ne pouvait approuver l’emploi du bénéfice qu’à concurrence de CHF 5.52 millions, soit la différence entre le bénéfice (CHF 29.17 millions) et les prêts octroyés (CHF 23.65 millions).

Le TF s’est en revanche écarté de l’appréciation cantonale selon laquelle la restitution de l’agio par distribution de dividende était illicite. Suivant la doctrine majoritaire et la pratique des sociétés de révision, le TF a considéré que le capital protégé par l’art. 680 al. 2 CO est limité à la valeur nominale des apports effectués. La distribution d’un dividende de CHF 2.43 millions, qui remplissait les conditions de l’art. 671 al. 3 CO, n’enfreignait pas l’interdiction de restitution de capital.

La décision du TF peut être saluée en ce qu’elle confirme la licéité d’une restitution de l’agio par distribution de dividende. Cette appréciation est conforme à l’esprit de la Réforme de la fiscalité des entreprises II qui visait notamment la défiscalisation des remboursements d’agio. La décision laisse cependant un certain nombre de questions sans réponse. Les critères posés sont-ils exhaustifs, alternatifs, cumulatifs ? L’arrêt signifie-t-il que l’intérêt de groupe en tant que tel (Verbundsvorteile) ne devrait jamais être pris en considération ? Ces aspects, entre autres, ne manqueront pas de susciter des discussions.

La participation à un cash pooling devrait à notre sens demeurer licite dans la mesure où les termes contractuels respectent toutes les conditions posées par le droit suisse, notamment le principe de pleine concurrence dont les contours sont esquissés par la décision du TF. En effet, il n’existe selon nous aucun motif justifiant de considérer les prêts octroyés dans le cadre d’un cash pooling comme étant par principe problématiques et de les traiter ainsi différemment des autres prêts intragroupes.