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Avant-projets LSFIN, LEFIN et LIMF

Réflexions sur l'information standardisée

Les trois avant-projets (services, établissements et infrastructure des marchés financiers) étant maintenant à la disposition du public, il est temps pour des premières réflexions sur les informations remises sous une forme standardisée, prévues par ces projets. A la différence de l’information individuelle qui tient compte de la situation particulière d’un client précis, l’information standardisée doit permettre d’informer – d’une manière garantissant l’égalité de traitement – tous les investisseurs sur toutes les données susceptibles d’influencer leurs décisions et donc la formation des prix du marché.

En substance, nous pouvons distinguer deux objets d’information et deux moments déterminants : les services financiers d’une part et les instruments financiers d’autre part dont les indications essentielles doivent être communiquées avant que le client ou l’investisseur se décide pour ou contre un service ou un (dés-)investissement, puis si les circonstances concernant l’objet d’information ont changé depuis lors.

  • Si des services financiers sont fournis à titre professionnel, l’information se règle d’après les art. 7-9 et 20 AP-LSFIN – tout en permettant aussi des informations sous une forme individualisée (art. 7 al. 3 AP-LSFIN à contrario). Dans la mesure où cette obligation d’information (issue des obligations de comportement du droit privé et actuellement formulée de manière positive, mais bien plus restreinte aux art. 11 LBVM et 20 LPCC) est accomplie sous une forme standardisée, elle aboutit à une sorte de prospectus concernant les services financiers, y compris les indications sur les prestataires eux-mêmes. Il est regrettable que la loi ne reprenne pas explicitement l’obligation de mise à jour de ces données, laquelle figure seulement dans le rapport LSFIN/LEFIN (p. 44).

En ce qui concerne la violation de l’obligation d’information, le rapport prétend que les dispositions pertinentes ne relèvent que du droit public ayant tout au plus « un effet de rayonnement sur la relation de droit civil  » et que le juge civil « pourra » s’y référer le cas échéant (p. 14) pour déterminer la responsabilité des prestataires de service financier. Si tel était le cas, toute la jurisprudence et la doctrine relatives à l’art. 11 LBVM et sa « qualité de règle de droit mixte » (cf. p.ex. ATF 133 III 97, 99 cons. 5) deviendraient obsolètes – bien entendu sans justification appropriée de la part des rédacteurs de l’avant-projet. De même, on regrettera qu’ils n’aient pas mentionné la décision du Tribunal fédéral qui a clairement affirmé récemment le « caractère de règle de protection individuelle » de ladite disposition (TF 4A_213/2010 du 28 septembre 2010 cons. 4, obiter dictum au 1er alinéa in fine), ce qui entraîne alors le risque d’ouvrir à nouveau la controverse sur le sujet. Il faudra que le futur message reprenne sérieusement ces questions afin d’éviter tout recul.

  • Si un instrument financier est proposé à la souscription ou à l’achat, le « producteur de l’instrument financier » (terme mentionné à l’art. 2, mais non encore défini à l’art. 3 AP-LSFIN) doit préalablement établir une feuille d’information de base, nouveauté prévue par le projet, qui doit être aisément compréhensible et rédigée dans une langue officielle de la Confédération (art. 58 ss. et 66 AP-LSFIN). Font exception à cette règle uniquement les offres portant sur des valeurs mobilières sous forme d’actions ou une forme assimilable à celles-ci (art. 59 AP-LSFIN) ou bien visant des investisseurs considérés comme des clients professionnels au sens de l’art. 4 al. 3 AP-LSFIN (art. 58 al. 1 AP-LSFIN à contrario). En revanche seront abrogées les dispositions de la LPCC relatives aux informations clés pour l’investisseur (conçues sur le modèle de la directive « OPCVM IV » et son règlement 583/2010) et au prospectus simplifié. Pour les instruments financiers déjà sur le marché à l’entrée en vigueur de la loi, des dispositions transitoires s’appliqueront pendant deux ans (art. 124 AP-LSFIN, rapport p. 71 et 110). Les détails, et notamment le contenu des feuilles d’information de base, seront réglés au niveau de l’ordonnance (art. 63 AP-LSFIN). Il semble que le législateur veuille se réserver ainsi une certaine marge de manœuvre. Espérons qu’elle soit assez grande pour s’adapter au futur règlement UE sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement de détail et sur les produits d’assurance dont l’entrée en vigueur est prévue pour la fin de l’année 2015 (projet PRIPS, actualisé lors de la séance plénière du parlement européen le 15 avril 2014 et encore à adopter par le Conseil).

Au chapitre de la mise à jour, le producteur est tenu de vérifier régulièrement les indications figurant dans la feuille d’information de base et, le cas échéant, de les actualiser (art. 62 al. 3 AP-LSFIN).

Par ailleurs, s’ajoutent des règles spéciales si des instruments financiers sous forme de valeurs mobilières (au sens de l’art. 2 lit. c AP-LSFIN) sont proposées à la souscription, à l’achat ou à la revente dans le cadre d’une offre publique ou lors d’une demande d’admission au négoce sur une plate-forme au sens de l’art. 25 AP-LIMF (bourse etc.) : les informations essentielles doivent être communiquées au préalable par un prospectus (art. 37 ss. et 64 AP-LSFIN) lequel doit être vérifié avant sa publication (art. 52 ss. AP-LSFIN). Les nouvelles règles remplaceront les art. 652a, 752 et 1156 CO relatives au prospectus d’émission des actions et d’emprunts par obligations et s’appliqueront également à tous les titres de créance, y compris les dérivés et les produits structurés. Les dispositions spéciales de la LPCC sur les prospectus de placements collectifs de capitaux (qui ne doivent toujours pas être vérifiés ; mais cf. art. 52 al. 3 AP-LSFIN) seront reprises aux art. 49 ss. et 65 AP-LSFIN. Des allégements et exemptions sont prévus (art. 38 s., 48 et 51 AP-LSFIN) mais, même dans un tel cas, les informations essentielles destinées aux investisseurs doivent être communiquées de sorte à garantir l’égalité de traitement (art. 41 AP-LSFIN).

Les règles relatives à la mise à jour des données (Folgepublizität) restent disparates : c’est seulement jusqu’à la clôture définitive de l’offre publique ou de l’ouverture du négoce que le prospectus doit être complété avec des nouveaux faits susceptibles d’influencer l’évaluation des valeurs mobilières par un supplément au prospectus (art. 57 AP-LSFIN). Après ce moment, l’art. 67 AP-LSFIN s’applique (dont les al. 1 et 2 sont mal rédigés) : lorsque interviennent ou sont envisagées des modifications relatives aux droits attachés aux valeurs mobilières, les investisseurs doivent être informés en temps utile et de telle manière que l’exercice de leurs droits soit garanti. Par contre, la publicité événementielle et les rapports périodiques restent réglés par la LIMF, pour lesquels l’art. 34 AP-LIMF renvoie à l’autorégulation des bourses.

Quant à la responsabilité, l’avant-projet introduit une présomption de faute : toute personne qui a participé à la présentation ou à la diffusion d’un prospectus (ainsi que d’une feuille d’information de base ou toutes communications semblables) ne satisfaisant pas aux exigences légales répond envers l’acquéreur d’un instrument financier du dommage causé, sauf à prouver qu’aucune faute ne lui est imputable (art. 69 AP-LSFIN). Conformément à la jurisprudence relative à l’art. 752 CO (ATF 131 III 306, 308 cons. 2.1), les acquéreurs sur le marché secondaire disposent également de la légitimation active (rapport p. 76). D’ailleurs, doit seulement être établie la vraisemblance prépondérante du lien de causalité naturelle, respectivement hypothétique, entre leur décision d’investissement (ayant généré une perte) et les indications figurant dans le prospectus (ATF 132 III 715, 719 cons. 3 ; rapport p. 76). Dans ce domaine, les investisseurs disposent donc depuis des décennies d’une norme de protection individuelle.

Mais au-delà, on cherche en vain une base légale à la responsabilité civile relative à la mise à jour des données. On regrettera là encore que le projet ne tienne pas compte de toutes les controverses doctrinales passées et probablement à venir (notamment sur la publicité événementielle comme règle de protection individuelle). Ici, l’avant-projet montre peu de courage. Ceci est d’autant plus décevant que l’on sait que les rapports LIMF et LSFIN/LEFIN soulignent le fait que la protection des investisseurs doit être traitée en priorité. Il serait alors  important de savoir jusqu’où s’étend cette protection. Quand, si ce n’est maintenant, lors d’un projet de loi de cette envergure, faudra-t-il répondre à cette question ?