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Convention de Lugano

Validité d'une clause d'élection de for contenue dans des conditions générales

La question de l’application des normes de protection des consommateurs à des relations bancaires continue à occuper les tribunaux suisses (cf. également Commentaire n° 255 du 2 novembre 2004, Commentaire n° 424 du 29 mars 2006, Commentaire n° 520 du 24 mai 2007 et Commentaire n° 871 du 25 mars 2013).

Dans une récente décision (arrêt du 6 mai 2013 dans la cause n° 4A_27/2013, destiné à la publication), le Tribunal fédéral a, pour la première fois à notre connaissance, examiné les normes de protection des consommateurs ancrées dans la (nouvelle) Convention de Lugano du 30 octobre 2007 (la « CL »), entrée en vigueur pour la Suisse au 1er janvier 2011.

Pour rappel (cf. également Commentaire n° 871 du 25 mars 2013), une clause d’élection de for contenue dans un « contrat de consommation » (au sens de la CL) est soumise à d’importantes restrictions (cf. article 17 CL). La CL est basée sur le principe selon lequel un consommateur doit pouvoir agir devant les tribunaux de son Etat de domicile, et ne peut être actionné que devant ces mêmes tribunaux (article 16 al. 1 et 2 CL). Hormis les cas de la vente à tempérament et du prêt à tempérament (qui ne sont pas abordés ici), un « contrat de consommation » au sens de l’article 15 CL est réputé exister si :

  • le contrat a été conclu par un consommateur pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ; et
  • le fournisseur a exercé des activités commerciales dans l’Etat de domicile du consommateur ou a, par tout moyen, dirigé ses activités vers cet Etat (pour autant que le contrat entre dans le cadre de ces activités).

Dans le cas d’espèce, une banque agissait contre un client en remboursement d’une créance découlant d’un rapport bancaire. La banque (anglaise) intenta action au lieu de situation de sa succursale (zurichoise) en charge de la relation, conformément à la clause d’élection de for figurant dans ses Conditions Générales. Le client argua que cette clause d’élection de for n’était pas valable au motif que le rapport bancaire devait, en l’espèce, être qualifié de « contrat de consommation » au sens de la CL. A suivre le client, la banque aurait dû agir devant les tribunaux allemands (pays de domicile du client).

En premier lieu, le Tribunal fédéral a tranché la question du fardeau de la preuve. En se fondant sur la jurisprudence communautaire (cf. décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 20 janvier 2005 dans la cause n° C-464/01 (Johann Gruber c. Bay Wa AG, § 46), le Tribunal fédéral a retenu que le demandeur doit prouver l’existence d’une prorogation de for. Il appartient ensuite au défendeur de prouver l’existence d’un for d’exception. Dans le cas d’espèce, la banque (demanderesse) devait donc apporter la preuve de la clause d’élection de for (contenue dans ses Conditions Générales). Il appartenait ensuite au client (défendeur) d’apporter la preuve de l’existence d’un « contrat de consommation » au sens de la CL et donc de l’invalidité de la clause d’élection de for.

En second lieu, le Tribunal fédéral s’est penché sur l’un des deux critères d’application du for du consommateur (article 15 CL), à savoir que la banque (i) ait exercé des activités dans l’Etat de domicile du consommateur ou (ii) ait dirigé ses activités vers cet Etat. Il convient d’examiner si cette condition est réalisée durant le laps de temps qui précède la conclusion de la clause d’élection de for (conclue en l’espèce le 23 février 1994) :

  • S’agissant du premier membre de l’alternative, le Tribunal fédéral a retenu que la banque n’a ouvert une succursale en Allemagne qu’en 2006, soit bien après la conclusion de la clause d’élection de for.
  • Par ailleurs, le client n’a pas apporté d’éléments factuels démontrant que la banque aurait entrepris des démarches publicitaires, de marketing ou de distribution dirigées spécifiquement vers l’Allemagne avant 1994. Les extraits du site Internet (de la banque) qui ont été produits par le client n’ont pas permis de retenir qu’une activité était dirigée vers l’Allemagne, compte tenu du fait qu’en 1994, Internet n’était pas utilisé pour des activités de marketing. Pour le surplus, la fourniture de services sur une base transfrontière (« Offshore-Geschäft« ) ou la tenue de compte en Deutschmarks (avant 2001) ne sont pas suffisants, à eux seuls, pour retenir que des activités ont été dirigées vers l’Etat de domicile du client.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral s’est dispensé d’examiner la question de savoir si le contrat bancaire conclu en l’espèce était destiné à « un usage pouvant être considéré comme étranger à [une] activité professionnelle » (première condition de l’article 15 CL). La clause d’élection de for contenue dans les Conditions Générales était donc valable.

Cet arrêt offre deux enseignements et entraîne une déception :

  • Le Tribunal fédéral précise que le client supporte le fardeau de la preuve s’agissant de l’existence d’un « contrat de consommation » au sens de la CL. Contrairement à ce que le client avait allégué en l’espèce, la banque ne doit pas prouver l’inapplicabilité des normes de protection des consommateurs.
  • Cet arrêt rappelle également que les critères d’application du for du consommateur (article 15 CL) doivent s’apprécier en fonction de la situation factuelle prévalant avant la conclusion de la clause d’élection de for, et non pas au moment de la naissance du litige ou au moment du dépôt de l’action.
  • L’on peut regretter que l’arrêt se contente de lister deux éléments factuels qui ne suffisent pas à démontrer que des activités ont été dirigées vers l’Etat de domicile du consommateur, à savoir (i) la conduite d’activités transfrontières et (ii) la tenue de comptes dans la monnaie de l’Etat de domicile du consommateur. S’agissant des activités transfrontières, la position du Tribunal fédéral peut surprendre. A la lecture de l’arrêt cantonal (plus complet sur cette question), l’on comprend toutefois que cette affirmation doit être nuancée. Le simple fait que le business model d’une banque est (ou a été) orienté vers la fourniture de services transfrontières ne suffit pas à remplir le critère des activités dirigées vers l’Etat de domicile du consommateur. En revanche, l’offre ciblée de services bancaires à des clients situés dans un Etat membre de la CL pourrait, à notre sens, constituer une activité dirigée vers cet Etat (cf. également la prise de position de la FINMA du 22 octobre 2010 à propos des risques juridiques et de réputation dans le cadre des activités financières transfrontières, pp. 11-12).

L’on relèvera finalement que les considérants de cet arrêt révèlent l’interprétation de la CL par des tribunaux suisses. L’on ne peut exclure que des tribunaux étrangers (saisis, par exemple, d’une action d’un client étranger contre une banque suisse) adoptent une approche plus protectrice des intérêts du client, notamment en interprétant plus largement le critère des activités dirigées vers l’Etat de domicile du consommateur.