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Droit des sociétés

Publication des premières lignes directrices suisses pour les investisseurs institutionnels

Des conseillers en droit de vote, des investisseurs institutionnels et des représentants de l’économie ont présenté le 21 janvier 2013 les « Lignes directrices pour les investisseurs institutionnels en vue de l’exercice des droits sociaux dans les sociétés anonymes » (ci-après lignes directrices). Il s’agit d’un premier code de bonne conduite spécifique aux investisseurs institutionnels, soit d’un instrument d’autorégulation ciblée, complétant le Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement d’entreprise, qui est destiné aux sociétés cotées en bourse.
Les lignes directrices font partie des instruments d’autorégulation auxquels les conseillers en droit de vote et les investisseurs institutionnels, tels que les institutions de prévoyance, les assurances ou les fonds de placement, peuvent se soumettre volontairement. Ils ont pourtant la possibilité de s’écarter de certaines règles conformément au principe comply or explain, un principe répandu parmi les instruments d’autorégulation en matière de corporate governance. D’après les cinq principes établis par les lignes directrices, les investisseurs institutionnels (a) exercent leurs droits sociaux dans la mesure où cela semble approprié et praticable ; (b) tiennent compte des intérêts de leurs bénéficiaires lors de l’exercice de leurs droits sociaux ; (c) assument leurs responsabilités dans l’exercice des droits sociaux ; (d) rendent accessibles à leurs bénéficiaires les principes et la procédure régissant l’exercice de leurs droits sociaux et (e) communiquent une fois par an la manière dont ils ont voté.
Le point de départ de ce nouveau code de bonne conduite est la situation des actionnaires institutionnels, qui détiennent à titre professionnel un grand nombre de participations et qui doivent voter dans le meilleur des intérêts de leurs bénéficiaires. On considère qu’un exercice responsable, systématique et transparent des droits sociaux fait partie d’une gouvernance équilibrée entre les actionnaires et le management et optimise la performance des sociétés. Vu la grande diversification de leurs portefeuilles d’actions, les investisseurs institutionnels sont confrontés à des difficultés pratiques pour exercer leurs droits sociaux. Lorsqu’ils exercent leurs droits de vote, ils confient souvent l’analyse des objets à l’ordre du jour et le développement d’une stratégie de vote à des conseillers professionnels. Ces derniers ne supportent pas de risque économique dans les sociétés publiques, ce qui augmente la possibilité que les droits sociaux ne soient pas exercés de façon responsable. Ce code de bonne conduite pour les investisseurs institutionnels a pour objectif d’améliorer la démocratie actionnariale et d’équilibrer les rapports de pouvoir dans les sociétés publiques.
Les lignes directrices représentent un premier pas pour un investissement responsable des plus grands actionnaires en Suisse, sans pour autant constituer un apport majeur dans le domaine.
Premièrement, la formulation des principes paraît floue. Il n’est par exemple pas clair dans quelle mesure l’exigence de l’exercice du droit de vote ne pourrait pas être jugé comme « approprié » au sens du premier principe. Deuxièmement, nous constatons que le Stewardship Code britannique, publié en 2010 par le Financial Reporting Council (FRC) et considéré comme ayant joué un rôle pionnier dans le domaine de l’autorégulation des investisseurs institutionnels, va plus loin que les lignes directrices suisses. Tandis que le Stewardship Code va au-delà du droit de vote, les lignes directrices se contentent de donner des paramètres pour l’exercice du droit de vote. Troisièmement, à la lecture des lignes directrices il est remarquable qu’aucun principe ne vise la divulgation des politiques de vote par les investisseurs institutionnels. Ceci paraît encore plus étonnant eu égard au fait qu’une obligation de divulgation deviendra forcément une réalité pour les institutions de prévoyance, étant donné que l’initiative Minder de même que le contre-projet indirect à l’initiative, soumis au vote populaire le 3 mars prochain, obligent les institutions de prévoyance à rendre publique la manière dont elles ont voté. Il aurait été souhaitable que les lignes directrices aillent dans le sens de l’initiative populaire et du contre-projet indirect en élargissant l’obligation de divulgation à tous les investisseurs institutionnels. Quatrièmement, en ce qui concerne le rôle des conseillers en droit de vote (proxy advisors), les lignes directrices mentionnent que le recours à leurs services est autorisé (principe 3) et que les investisseurs institutionnels doivent préciser dans un règlement dans quelle mesure ils font appel à leurs services (principe 4). Une prise en compte de l’enjeu critique que représentent les proxy advisors pour la gouvernance et des solutions concrètes, en particulier en ce qui concerne leurs conflits d’intérêt, aurait été préférable.
D’autres points établis par les lignes directrices paraissent plus innovateurs, notamment l’interdiction du prêt des titres (securities lending) avant les assemblées générales si des points controversés à l’ordre du jour, qui semblent importants du point de vue de l’intérêt du bénéficiaire, font l’objet d’un vote (principe 3). Avec le securities lending, certains types d’investisseurs institutionnels ayant une stratégie de placement à court terme, comme par exemple les hedge funds, empruntent des titres uniquement en vue de l’exercice du droit de vote et constituent de ce fait un danger pour la formation de la volonté de l’assemblée générale. Toutefois, la formulation des lignes directrices est de nouveau assez vague, car elles stipulent que les investisseurs institutionnels et mandataires s’abstiennent de prêter des titres uniquement « dans la mesure du possible », laissant ainsi une porte ouverte aux stratégies d’investissement axées sur le court terme.
En conclusion, nous saluons l’initiative prise par les éditeurs d’introduire un premier code de bonne conduite spécifique aux investisseurs les plus importants. Les lignes directrices constituent un pas important en matière de gouvernance des investisseurs institutionnels et le début d’une plus grande prise en compte de leur responsabilité dans l’équilibre des pouvoirs des sociétés publiques en Suisse. Toutefois, elles doivent être observées d’un œil critique et très probablement être adaptées en fonction des évolutions législatives et économiques. La pratique montrera l’impact que ces lignes directrices auront sur l’optimisation du gouvernement d’entreprise des sociétés publiques suisses.