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Droit des sociétés

Carences d'organisation et dissolution de la société anonyme

Dans un arrêt du 7 mars 2012 destiné à la publication (arrêt 4A_630/2011), le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se prononcer sur les conditions de recevabilité de l’action en dissolution d’une société anonyme ensuite de carences dans son organisation (art. 731b CO) et de trancher la question de la procédure applicable à cette action.
L’état de fait est le suivant : X et Y, détenteurs de la moitié du capital de la société Z SA, constestent – dans le cadre d’une autre action en justice – la validité de la désignation en qualité d’administrateur du troisième actionnaire de la société. Ils soutiennent que même si celui-ci avait été régulièrement élu, il aurait perdu cette qualité entretemps et qu’il en va de même pour le réviseur qui n’a pas été réélu à l’assemblée générale suivant la fin de son mandat. Selon X et Y, l’absence d’administrateur et de réviseur justifie la dissolution de la société au sens de l’art. 731b CO. La société conteste ce point de vue et soutient que ses organes sont toujours en fonction faute d’avoir été révoqués ; elle prétend également que les demandeurs ne sont pas motivés par la prétendue carence dans l’organisation, mais souhaitent échapper au paiement d’une dette en obtenant la dissolution de la société. Le Tribunal d’appel, quant à lui, considère que l’action n’est pas recevable, d’une part, car elle vise en réalité à trancher un litige portant sur la validité des décisions de l’assemblée générale et l’interprétation des statuts et, d’autre part, car les organes sont toujours inscrits au registre du commerce.
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, lorsque les faits allégués, comme in casu l’absence d’administrateur et de réviseur, « revêtent une incidence aussi bien pour la compétence que pour le bien-fondé de l’action – faits doublement pertinents ou de double pertinence -, ils sont présumés avérés au stade de l’examen de la compétence et ne devront être prouvés qu’au moment où le juge statuera sur le fond ». Une exception à cette règle – et donc l’irrecevabilité de la demande – ne se justifie qu’en présence d’une prétention manifestement infondée, ou encore lorsque les allégations de la demanderesse rendent la qualification du contrat ou de l’objet du litige insoutenable ou lorsque celle-ci se fonde sur une thèse qui apparaît « d’emblée spécieuse ou incohérente, ou se trouve réfutée immédiatement et sans équivoque par (…) la partie défenderesse ». La première partie de l’arrêt est donc consacrée à vérifier si les conditions d’une irrecevabilité sont données en l’espèce. L’arrêt rappelle ainsi que l’action de l’art. 731b CO a pour but de pallier les carences dans l’organisation de la société, notamment lorsqu’il existe « un blocage persistant au sein de l’actionnariat qui empêche l’élection d’un organe ou la conduite des affaires » (c. 2.3 et références citées) et constate, d’une part, que les allégations de la demanderesse vont dans le sens d’un tel blocage entraînant des carences dans l’organisation et, d’autre part, que ces allégations ne sont pas réfutées immédiatement et sans équivoque par la partie défenderesse. Le Tribunal fédéral retient en particulier que l’inscription des organes au registre du commerce ne saurait être décisive pour écarter une carence dans l’organisation : il est en effet usuel que l’inscription soit exacte au moment où elle est requise et que les carences ne soient pas systématiquement annoncées audit registre. Enfin, le Tribunal fédéral ne voit pas d’abus manifeste dans la prétention que font valoir les demandeurs.
Dans un second temps, le Tribunal fédéral examine si la procédure sommaire doit s’appliquer à la dissolution de la société, malgré le silence de l’art. 250 du Code de procédure civile (CPC), lequel mentionne pourtant deux (autres) mesures prévues par l’art. 731b CO. Se fondant sur une interprétation historique de l’art. 250 CPC et surtout sur la constatation que l’art. 731b CO, « entend laisser au juge une grande latitude pour remédier aux carences d’organisation, quitte à devoir s’écarter des conclusions de la partie requérante », ce qui serait impossible si les différentes mesures envisageables étaient soumises à des types de procédure distincts, le Tribunal fédéral retient que la dissolution prévue par l’art. 731b al. 1 ch. 3 CO, comme toutes les mesures destinées à remédier aux carences dans l’organisation de la société, relèvent de la procédure sommaire. Il écarte l’objection de la société selon laquelle la dissolution serait une mesure trop grave pour être soumise à la procédure sommaire. En effet, précise-t-il, les procédures aboutissant à une décision définitive supposent un examen complet de la cause, en fait et en droit, ce qui justifie que, dans de telles procédures, le juge puisse toujours recourir à d’autres moyens que la preuve par titres.
Cet arrêt, qui confirme l’application de la procédure sommaire, plus rapide, à la dissolution prévue par l’art. 731b CO, nous semble particulièrement intéressant. Même si, à ce stade, le Tribunal fédéral s’est contenté de constater que, dans le cas particulier, la thèse des demandeurs ne pouvait pas être écartée d’emblée et qu’il ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire, son arrêt ouvre de nouvelles perspectives, dont on ne cerne sans doute pas encore complètement les contours, aux actionnaires de sociétés qui se trouvent en situation de blocage, en leur proposant de recourir à une action plus rapide et dont les conditions seront le plus souvent bien plus simples à prouver que celles de l’art. 736 al. 1er ch. 4 CO.