Aller au contenu principal

Transmission par la FINMA de dossiers de clients aux Etats-Unis

Le Tribunal fédéral met un point final à l’affaire

Dans un arrêt 2C_127/2010 du 15 juillet 2011 (destiné à publication) mais dont les considérants n’ont été rendus publics que le 17 novembre 2011, le Tribunal fédéral a définitivement tranché la question de la légalité de la décision de la FINMA relative au transfert des données des clients US au Department of Justice américain (DoJ) du 18 février 2009. Si, à teneur du dispositif, l’arrêt donne raison à la FINMA et renverse la décision du Tribunal administratif fédéral B-1092/2009 du 5 janvier 2010 (voir Alain Hirsch, commentaire n° 658) qui avait conclu à l’illégalité de la décision prise par la FINMA, les considérants tempèrent cette victoire (à l’image du vote serré des juges qui n’ont admis le recours que par trois voix contre deux).
Le rappel des faits exposés par le Tribunal fédéral comprend non seulement le développement de l’affaire depuis février 2008 jusqu’à la livraison des données en cause, mais également les évènements qui ont suivi (à cet égard, voir également le rapport des Commissions de gestion des Chambres fédérales du 30 mai 2010 très complet). Sur le complexe de faits qui nous concerne, il est rappelé comment la CFB (devenue en janvier 2009 la FINMA) est intervenue dès février 2008 dans ce dossier délicat relatif à la demande des autorités américaines que des noms de clients d’UBS soupçonnés d’indélicatesse envers le fisc américain leur soient livrés. L’affaire a débouché en juillet 2008 sur une demande d’entraide fiscale internationale de l’IRS (Internal Revenue Service). Cette solution s’est avérée très provisoire puisqu’en décembre de la même année l’IRS a manifesté des signes importants d’impatience. Les intimidations et menaces ont alors graduellement augmenté, à tel point que le 29 décembre 2008 le Conseil fédéral a prié la CFB de prendre les mesures nécessaires pour éviter un effondrement de la banque et assurer la stabilité du système financier suisse et international. Le 17 février 2009, la pression atteint son paroxysme : le DoJ a menacé la banque d’une mise en accusation sans délai, si les données réclamées ne lui étaient pas livrées immédiatement. Le lendemain, la FINMA ordonnait la transmission des noms de 255 clients à l’IRS. Ce fut chose faite le jour même, parallèlement à la signature d’un accord prévoyant la suspension de la procédure du DoJ ouverte à l’encontre d’UBS.
Sur le fond, le Tribunal fédéral rappelle à titre liminaire que la FINMA n’est pas soumise au secret bancaire (art. 47 LB) mais au secret de fonction (14 LFINMA), lequel lui impose notamment de garantir la confidentialité des secrets d’affaires de ses administrés, y compris ceux couverts par le secret bancaire. Ce dernier n’a pas le rang de droit fondamental. Néanmoins, les informations qu’il couvre font partie de la sphère privée de tout individu qui, elle, constitue un droit fondamental et dont les restrictions doivent respecter les exigences de l’art. 36 Cst.
Le Tribunal fédéral passe ensuite en revue différentes bases légales sur lesquelles la FINMA a fondé la décision attaquée. En particulier, il confirme le raisonnement du Tribunal administratif fédéral en ce que celle-ci ne pouvait être prise sur la base des art. 25 et 26 LB (relatifs aux mesures que l’Autorité de surveillance peut prendre en cas de soupçons d’insolvabilité d’un établissement bancaire). Il précise que, bien que la FINMA jouisse d’un pouvoir d’appréciation large dans le choix des mesures non prévues spécifiquement à l’art. 26 LB, celles-ci doivent pour respecter le principe de la légalité rester d’une nature semblable à celles expressément mentionnées. Elles doivent être dirigées en premier lieu à l’encontre de la banque et n’affecter que ponctuellement et indirectement ses clients.
C’est sur la clause générale de police que le Tribunal fédéral confirme l’ancrage légal de la décision prise par la FINMA dans un raisonnement qui peut se résumer comme suit. Le Conseil fédéral a cru, à tort, que la FINMA pouvait prendre la décision de transmission des données sur la base des art. 25 s. LB. Il a, par ailleurs, renoncé à recourir à la clause d’urgence constitutionnelle (art. 184 Cst.) et à en déléguer l’utilisation par l’Autorité de surveillance, ce qui au demeurant n’aurait pas été possible. En revanche, le 29 décembre 2008, le Conseil fédéral a prié l’Autorité de surveillance de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter le chaos. Ce faisant, dit le Tribunal fédéral, il a donné (sans qu’il soit pertinent de savoir s’il en était conscient) à la FINMA la possibilité d’agir sur la base de la clause générale de police. Le Tribunal fédéral précise encore que la FINMA n’est, en principe, pas compétente pour invoquer de son propre chef la clause générale de police. Cela n’a été possible dans le cas d’espèce que parce que le Conseil fédéral avait été informé de manière continue sur le dossier et que l’action de la FINMA a été menée en accord avec lui.
La clause générale de police peut constituer une base légale au sens de l’art. 36 Cst. et justifier une atteinte même grave à un droit subjectif absolu pour protéger l’ordre publique ou un bien fondamental de l’Etat ou d’un privé pour autant, entre autres, qu’il existe un danger imprévisible. S’agissant de la notion de « danger », le Tribunal fédéral a admis, contrairement à l’opinion du Tribunal administratif fédéral, que la menace d’une mise en accusation de la banque faisait effectivement peser sur elle un fort risque de faillite. Selon lui, un tel effondrement aurait eu, en raison du caractère systémique de la banque, des répercussions catastrophiques tant pour l’ensemble de l’économie suisse que pour les marchés financiers internationaux. Sur le caractère « imprévisible » du danger (également rejeté par l’instance inférieure au motif que les menaces des autorités américaines étaient déjà connues avant la date de la décision), il rappelle que sa jurisprudence en la matière a très récemment évolué et est désormais moins restrictive. En l’espèce, les menaces étaient certes connues avant le 18 février. Néanmoins, la situation qui paraissait pouvoir être maîtrisée en juillet 2008 par les voies de l’entraide s’est rapidement dégradée en fin d’année. Le danger, bien que latent, a pris début 2009 (notamment avec l’inculpation de M. Weil) une nouvelle dimension. Cette escalade, qui n’était pas imprévisible mais qu’on a cherché à éviter, justifie la décision de la FINMA.
Enfin, les considérants du Tribunal fédéral sur la question de la récusation du président de l’Autorité de surveillance (que le Tribunal administratif fédéral n’avait pas eu besoin d’examiner) sont particulièrement intéressants. Sans longs développements, il constate qu’avant son entrée en fonction au sein de l’Autorité de surveillance M. Haltiner était membre de l’Executive Board d’UBS et avait, en cette qualité, été informé et associé à la mise en œuvre du QIA (Qualified Intermediary Agreement) au sein de la banque, quand bien même il n’était pas responsable pour ce secteur d’activités. De tels éléments objectifs sont suffisants pour fonder l’apparence de partialité, laquelle justifie sa récusation. Le fait que l’Autorité de surveillance a levé, en novembre 2008, une mesure interne de récusation instaurée à l’égard de M. Haltiner lors de son entrée en fonction pour les affaires UBS et le fait que les chefs des Départements des finances et de justice et police souhaitaient également que M. Haltiner prenne part aux discussions portant sur ce dossier délicat, n’y changent rien. Enfin, précise notre Haute Cour, il n’y a pas d’indices qui pourraient laisser croire que l’Autorité de surveillance aurait été incapable de prendre une décision sans son président. Au contraire, des mesures organisationnelles en ce sens étaient possibles et auraient dû être prises.
La violation des règles sur la récusation peut entraîner la nullité de la décision attaquée dans des cas jugés graves. Le Tribunal fédéral n’est même pas entré en matière sur la gravité du cas d’espèce. En partant du constat que les données litigieuses se trouvent d’ores et déjà à l’étranger de sorte qu’on ne peut revenir sur la décision de la FINMA, il constate qu’« es besteht somit kein aktuelles praktisches Interesse mehr daran, diesen anzuheben, weil deren Präsident nicht daran hätten mitwirken dürfen ». Il rejette ainsi le recours et confirme la décision de la FINMA « inhaltlich », quand bien même son président aurait dû se récuser.