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Rémunération des intermédiaires financiers

Rétrocessions – Acte III

A peine quelques mois après l’arrêt consacré aux rétrocessions versées dans le cadre de la distribution de produits structurés (arrêt 6B_223/2010 du 13 janvier 2011, non destiné à la publication, cf. commentaire n° 741), la question de la rémunération des intermédiaires financiers connaît un nouveau rebondissement (arrêt 4A_266/2010 du 29 août 2011, destiné à la publication).
Dans son arrêt de principe de 2006 (ATF 132 III 460 du 22 mars 2006, cf. Actualité n° 446), le Tribunal fédéral avait jugé que les rétrocessions qu’un tiers gérant reçoit de la banque dépositaire des fonds du client sont en principe soumises à une obligation de restitution au client (article 400 al. 1 CO). Une dérogation contractuelle à l’obligation de restitution est envisageable, pour autant (i) que le client ait été informé de l’existence de ces rétrocessions et (ii) qu’il ait consenti expressément à ce que le tiers gérant conserve les montants reçus à ce titre. Cela étant, en 2006, le Tribunal fédéral n’avait pas apporté de précisions particulières quant au niveau d’information qui doit être fourni au client afin que la renonciation anticipée à la restitution des rétrocessions soit valable. L’arrêt présenté aborde cette question.
Selon les considérants du Tribunal fédéral, la renonciation à la restitution des rétrocessions reçues par le tiers gérant est valable si le client a été, au préalable, informé (i) des paramètres essentiels de l’accord sur la base duquel les rétrocessions sont calculées et payées (« Eckwerte der bestehenden Retrozessionsvereinbarungen« ) et (ii) du montant prévisible de celles-ci (« Grössenordnung der zu erwartenden Rückvergütungen« ), par exemple par la communication au client des pourcentages (sous forme de fourchette) que les rétrocessions représentent par rapport aux actifs sous gestion. Selon le Tribunal fédéral, ces deux volets devraient permettre au client de disposer d’une vision globale sur la rémunération du gérant de fortune (commission de gestion et rétrocessions) et sur l’impact que les rétrocessions pourraient avoir sur la bonne exécution du mandat de gestion.
Afin de permettre au client de tirer effectivement profit des informations qui lui sont communiquées, le Tribunal fédéral franchit un pas supplémentaire, en imposant au tiers gérant d’attirer spécifiquement l’attention du client inexpérimenté en matière financière sur les éventuels conflits d’intérêts qui peuvent découler de la perception de rétrocessions par le tiers gérant. De telles explications supplémentaires ne sont en revanche pas nécessaires si le client est sophistiqué.
Dans le cas d’espèce, le contrat de gestion de fortune prévoyait laconiquement que le tiers gérant était autorisé à conserver les rétrocessions éventuelles (« Allfällige Retrozessionen stehen vollumfänglich der [Vermögensverwaltungsgesellschaft] zu. »). Selon le Tribunal fédéral, ces termes ne constituaient pas, à eux seuls, une clause de renonciation valable, faute pour le client – certes sophistiqué (il s’agissait d’une institution de prévoyance) – de bénéficier d’une quelconque indication sur les modalités de calcul des rétrocessions. Selon le Tribunal fédéral, la clause précitée est nulle (article 20 al. 2 CO) et ne fait donc pas obstacle à l’exercice du droit à la restitution des rétrocessions (article 400 al. 1 CO).
Cet arrêt peut, à notre sens, donner lieu aux observations suivantes :
Le présent arrêt s’inscrit dans le cadre de la relation triangulaire entre un client (en l’espèce une institution de prévoyance), une banque dépositaire et un tiers gérant et constitue la suite logique de l’arrêt de 2006. Le présent arrêt ne traite en revanche pas de la question des rétrocessions versées dans le cadre de la distribution de produits financiers, qui avait été abordée par la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral dans l’arrêt 6B_223/2010 du 13 janvier 2011 (cf. commentaire n° 741).
L’approche prônée par le Tribunal fédéral dans ce litige de droit civil est conforme à la position prise, sur un plan réglementaire, par la FINMA dans sa Circulaire 2009/1 sur les règles-cadres pour la gestion de fortune (à laquelle le Tribunal fédéral ne fait toutefois aucune référence). Cette Circulaire contient les règles-cadres que la FINMA considère comme étant des critères de référence pour la reconnaissance comme standard minimal des normes d’autorégulation des organisations professionnelles dont les membres sont actifs dans la gestion de fortune. Indépendamment de la question du droit à la restitution des rétrocessions, cette Circulaire prévoit que le tiers gérant doit informer ses clients sur les « paramètres de calcul » et les « fourchettes de valeurs » des rétrocessions qu’il reçoit de tiers (chiffre 30 de la Circulaire), sans toutefois prévoir de catégorisation en fonction du niveau de sophistication du client.
Le raisonnement du Tribunal fédéral anticipe également les évolutions futures en matière de réglementation des intermédiaires financiers. Dans l’arrêt, les obligations à charge du récipiendaire des rétrocessions sont calibrées en fonction du degré d’expertise financière du client. Le concept d’une telle catégorisation de la clientèle se retrouve déjà dans la notion d' »investisseur qualifié » au sens des articles 10 al. 3 LPCC et 6 OPCC. A l’avenir, la réglementation suisse des intermédiaires financiers devrait continuer à s’éloigner du principe du  » one size fits all« . Ainsi, dans son Rapport 2010 sur la distribution de produits financiers, la FINMA plaide en faveur d’une segmentation de la clientèle dans une perspective réglementaire, sur le modèle de la Directive européenne concernant les marchés d’instruments financiers (MiFID) qui connaît notamment les notions de « client de détail », de « client professionnel » et de « contrepartie éligible ».