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Message concernant l’adoption d’une loi sur l’assistance administrative fiscale (LAAF)

En mars 2009, la Suisse opérait un brusque changement de cap dans sa politique d’échange d’informations fiscales. Cette nouvelle approche s’est traduite en droit par la reconnaissance de la clause standard du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE (MC OCDE). La Suisse s’engageait ainsi à se prêter à un échange de renseignements fiscaux à la mesure et aux conditions de l’art. 26 MC OCDE. Dans la foulée, elle procédait de façon concomitante à la renégociation d’une série de Conventions de Double imposition (CDI) avec ses partenaires et engageait, à l’interne, le processus d’adoption d’un texte de loi capable d’en assurer la mise en œuvre.

Le 6 juillet 2011, le Conseil fédéral a rendu public son Message, ainsi que le Projet de loi fédérale sur l’assistance administrative en matière fiscale (P-LAAF ou le Projet). Le Projet tient raisonnablement compte des résultats de la procédure de consultation, laquelle s’est révélée particulièrement instructive en raison de l’implication des différents acteurs des milieux économiques et politiques intéressés (Rapport P-LAAF). En l’état, le Projet se présente comme suit.

Tout d’abord, il y a lieu de noter que la LAAF a vocation à remplacer, dès son entrée en vigueur, l’OACDI (voir actualité CDBF n° 690, 7 septembre 2010). Ensuite, et contrairement à l’OACDI, dont le champ d’application est limité à l’exécution de l’assistance administrative en vertu des CDI en vigueur (ou révisées) après le 1er octobre 2010, la LAAF s’appliquera à toutes les CDI (P-LAAF 1 I). Elle régira en outre l’assistance administrative reposant sur d’autres types de conventions internationales (p.ex. l’Accord sur la fiscalité de l’épargne), à l’exception notable de l’Accord sur la lutte contre la fraude. Les insuffisances que connaît le régime actuel d’assistance administrative de cet Accord seront comblées au moyen d’une révision spécifique des lois concernées (i.e. la loi sur les Douanes et la loi sur la TVA). Tout comme l’OACDI, le P-LAAF réserve les dispositions spéciales ou dérogatoires des CDI concernées et mentionne expressément l’applicabilité de la PA, sauf lorsque l’une de ses dispositions y déroge (P-LAAF 1 II). Il en va ainsi en particulier de l’art. 22a al. 1 PA (féries), qui ne s’appliquera pas en matière d’assistance fiscale (P-LAAF 5 II). Cela s’explique aisément par le fait que ce type de procédure doit être mené avec célérité.

S’agissant de la compétence, c’est l’Administration fédérale des contributions qui sera chargée d’exécuter les demandes d’assistance des autorités étrangères ou habilitée à adresser les demandes suisses aux autorités étrangères (P-LAAF 2). Dans le cadre des mesures administratives ou de contrainte qu’elle sera amenée à prendre (not. inspections locales, expertises comptables, perquisition, séquestres), elle pourra aussi être assistée de l’autorité fiscale cantonale, compétente pour la taxation de la personne concernée (P-LAAF 9 IV in fine ; 13 VI).

Du point de vue systématique, relevons que le Projet de loi comprend six sections et 25 dispositions où sont réglées notamment les conditions que doivent remplir les demandes d’assistance de l’étranger (P-LAAF 6 et 7), mais aussi les modalités relatives à l’obtention des renseignements sollicités (principes, personnes visées, mesures de contraintes, collaboration entre les autorités helvétiques ; P-LAAF 8 à 15). On distingue deux types de procédure de transmission des renseignements : la procédure simplifiée qui suppose le consentement de la personne concernée (P-LAAF 16) et, à défaut, la procédure ordinaire qui se solde impérativement par une décision finale sujette à recours et notifiée à chaque personne habilitée à recourir (P-LAAF 17). En tant que destinataire de la décision, la personne concernée dispose bien entendu de la qualité pour recourir, et avec elle, toutes les personnes qui satisfont aux conditions de l’art. 48 PA (P-LAAF 19 II). Le recours a effet suspensif (P-LAAF 19 III). Le Projet prévoit l’instauration d’un second degré de juridiction. Il impliquera une modification de la loi sur le Tribunal fédéral et la création d’une voie de recours devant cette autorité pour le cas particulier de l’assistance administrative internationale en matière fiscale. Le délai pour recourir au TF contre l’arrêt du TAF devrait être de 10 jours.

Le Projet a été élaboré en tenant compte des résultats intermédiaires de l’examen de la Suisse par ses pairs dans le cadre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Les premières conclusions ont porté sur le fait que certaines CDI renégociées par la Suisse prévoyaient des conditions trop restrictives au sujet de l’identification du contribuable et du détenteur présumé des renseignements par l’autorité requérante. Ainsi, en ce qui concerne les conditions de recevabilité de la demande, l’exigence d’identification indubitable de la personne visée, qui figure actuellement à l’art. 5 al. 3 let. b ch. 2 et 3 de l’OACDI, a-t-elle été abandonnée dans le Projet (P-LAAF 6 II a et b). L’autorité requérante ne sera pas tenue de désigner impérativement la personne visée par son nom dans sa requête, elle pourra le faire par d’autres moyens (p.ex. numéro de compte IBAN). Il convient de relever encore que, conformément au principe de subsidiarité, les conditions liées au contenu des demandes étrangères telles que prévues dans le Projet de loi « cèdent le pas » devant les dispositions contraires contenues dans la CDI applicable.

En ce qui concerne les droits procéduraux de la personne concernée, le P-LAAF est plus restrictif que l’OACDI. L’AFC peut en effet refuser à la personne concernée le droit de consulter les documents, voire ne pas l’informer du dépôt d’une demande, lorsque l’autorité requérante rend vraisemblable qu’elle a des motifs valables pour garder le secret sur la procédure (p.ex. risque de collusion, destruction des pièces ; P-LAAF 15 II). Par rapport au texte de l’OACDI, le Projet de loi est également plus précis s’agissant des obligations qui incombent au détenteur des renseignements. Il est acquis que la Suisse ne pourra en aucun cas refuser la transmission de renseignements au seul motif que ceux-ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire, ou parce qu’ils se rattachent aux droits de propriété d’une personne. Le Projet prévoit au demeurant que le détenteur des renseignements devra fournir non seulement les renseignements qu’il possède (maîtrise de fait), mais également ceux sur lesquels il dispose d’un pouvoir de contrôle (maîtrise « de droit »). Le secret professionnel de l’avocat est toutefois expressément réservé (LAAF 8 VI). Reste à déterminer si l’avocat détient les renseignements dans le cadre de son activité ordinaire (critère de l’activité typique-atypique).

Enfin, s’agissant des demandes suisses à l’endroit d’autorités étrangères, les renseignements transmis pourront être utilisés pour l’application du droit fiscal suisse, mais les renseignements « bancaires » ne pourront être utilisés que dans l’hypothèse où ils auraient pu être obtenus sur la base de la législation suisse (P-LAAF 21 II). A teneur du message, la Suisse accepte ainsi que les autorités fiscales suisses soient « moins bien loties que les autorités fiscales étrangères ». Cette solution de l’autolimitation a tranché dans le vif une question controversée au cours de la phase de consultation.