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Champ d’application de la LBVM

Qu'est-ce qu'une maison d'émission ?

Un récent arrêt du Tribunal fédéral donne des précisions importantes sur les activités de « maison d’émission » (underwriter), l’une des sous-catégories du concept de négociant en valeurs mobilières au sens de la LBVM (arrêt 2C_199/2010 du 12 avril 2011, proposé à la publication). Cet arrêt est intéressant à plus d’un titre. D’une part, les jurisprudences relatives au champ d’application matériel de la LBVM sont rares. D’autre part, le Tribunal fédéral prend le contre-pied de l’interprétation de la LBVM prônée par le régulateur suisse.
L’arrêt du Tribunal fédéral marque l’épilogue d’une procédure administrative initiée par la CFB contre la succursale zurichoise d’une société organisée selon le droit des BVI (la « Succursale »). Les activités de la Succursale portaient sur le placement, en Suisse, de parts sociales d’émetteurs étrangers non cotées. Dans ce contexte, la Succursale semble avoir agi en qualité d’intermédiaire entre les émetteurs et les investisseurs. A quelques exceptions près, les contrats d’investissement étaient conclus directement entre les investisseurs et les émetteurs.
Dans une perspective réglementaire suisse, la CFB, dans une décision confirmée par le Tribunal administratif fédéral (le « TAF »), considéra que la Succursale avait une activité de « maison d’émission » (article 3 al. 2 OBVM) et, faute pour la Succursale de bénéficier de l’autorisation requise, ordonna sa liquidation.
Selon le Tribunal fédéral, la caractéristique principale de l’activité de maison d’émission est la « prise ferme » ou « à la commission » de valeurs mobilières en vue d’un placement dans le marché primaire. Dans le cadre d’une « prise ferme », le négociant acquiert, dans un premier temps, les titres de l’émetteur, avant de les vendre aux investisseurs. Dans le cadre d’un placement « à la commission », le négociant, agissant en qualité de commissionnaire, vend les titres aux investisseurs en son propre nom, mais pour le compte de l’émetteur (représentation indirecte). Ces deux processus de placement de titres se distinguent par l’allocation du risque de placement (supporté par la maison d’émission en cas de « prise ferme » et par l’émetteur en cas de placement « à la commission »). Ils présupposent, tous deux, la conclusion de deux rapports contractuels distincts : le premier entre l’émetteur et la maison d’émission et le second entre la maison d’émission et les investisseurs. Dans son arrêt, le TAF avait expressément fait abstraction de ce critère, en arguant que la protection des investisseurs imposait une interprétation large du champ d’application de la LBVM.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral constate que les transactions litigieuses ont, pour l’essentiel, été conclues directement entre les émetteurs et les investisseurs. La Succursale (respectivement sa maison-mère) n’était, en principe, pas partie aux contrats de souscription et n’a donc pas « pris ferme » ou « à la commission » des valeurs mobilières. La Succursale n’a donc pas agi en qualité de « maison d’émission » au sens de la LBVM. Au vu de ce constat, le Tribunal fédéral se dispense d’examiner la question de savoir si la Succursale remplissait les autres critères requis pour une activité de maison d’émission, soit notamment l’exigence d’une activité à titre professionnel et d’une offre au public (article 3 al. 2 OBVM).
Cette conclusion intermédiaire ne signifie toutefois pas encore que la Succursale échappe à l’application de la LBVM. Cette loi réglemente également certaines activités conduites en Suisse par des entités étrangères sur une base transfrontalière. Dans le cas d’espèce, la maison-mère de la Succursale faisait figurer dans son but social les termes « achat, vente, […] de valeurs mobilières ». Dans une perspective suisse, la maison-mère est donc un « négociant étranger » (article 38 al. 1 lit. b OBVM), qui doit obtenir l’autorisation de la FINMA avant d’ouvrir une succursale en Suisse (article 39 al. 1 lit. a ch. 1 OBVM). En l’espèce, la maison-mère aurait donc dû requérir une autorisation au vu de son but social, même si, pour les motifs décrits ci-dessus, les activités effectivement conduites en Suisse par la Succursale ne tombent pas sous le coup de la définition de « maison d’émission ». Sur cette base, le Tribunal fédéral confirme, par substitution de motifs, la décision du régulateur de liquider les activités de la Succursale.
C’est le lieu de rappeler que les activités transfrontalières de négociants étrangers ne sont pas réglementées en Suisse, pour autant que (A) ces activités soient menées sans présence physique en Suisse (typiquement sans l’ouverture d’une succursale ou d’un bureau de représentation) et (B) qu’elles n’impliquent pas une affiliation en tant que membre étranger à une bourse en Suisse (remote member). Cette position très libérale de la Suisse contraste avec les barrières érigées par les pays avoisinants en vue de limiter les activités financières transfrontalières menées depuis la Suisse. La position suisse dans ce domaine pourrait du reste se durcir à l’avenir (cf. notamment Rapport FINMA Distribution de produits financiers 2010, page 40).