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Droit des sociétés

L'intérêt juridique de l'actionnaire à l'annulation d'une décision de l'assemblée générale

Le Tribunal fédéral, par une décision du 21 mars 2011 (TF. 4A_97/2010) concernant une demande d’annulation d’une décision de l’assemblée générale sur la base de l’art. 706 CO, a rappelé que l’une des conditions requises pour invoquer cet article était d’avoir un intérêt juridique à intenter l’action. Bien que cet intérêt soit interprété largement par la jurisprudence et la doctrine, l’abus de droit et la violation du principe de la confiance par le demandeur enlèvent tout intérêt juridique à l’action.
Dans une société immobilière, les actions nominatives émises sous forme de certificats d’actions incorporent le droit de louer un local déterminé dans l’immeuble propriété de la société. Le Conseil d’administration est compétent pour approuver la cession des certificats, pour modifier l’attribution et la modification de la répartition des locaux attribués aux certificats d’actions. La modification de la répartition suppose l’accord de tous les actionnaires concernés.
Dans les années 1960, A a acquis le certificat no 21 lui permettant de louer un magasin et un local au sous-sol. En 1990, X a acquis de B le certificat no 12 permettant de louer la discothèque attenante au local. Dans les années 1960, la titularité des locaux est devenue incertaine après qu’un bar ait été construit entre le local et la discothèque. Ce bar était rattaché au certificat no 21 mais utilisé par les ayants droit du certificat no 12. Par ailleurs, A avait transformé une partie commune en boutique qu’elle avait loué par la suite, ce qui avait été accepté par la société. En 1986, au décès de A, C sa belle-fille a reçu dans le partage successoral le certificat no 21 et a continué de louer le bar et la boutique comme légitime ayant droit.
Afin de régulariser la situation, suite à une convention signée entre A et C pour déterminer l’ayant droit du bar en 1998, le conseil d’administration a décidé en 2000 de diviser le certificat d’actions no 21 en deux, et d’attribuer la discothèque au certificat no 21 et le bar au certificat no 21a. En 2002, l’assemblée générale a confirmé les droits de C et la validité des deux nouveaux certificats d’action. X a immédiatement intenté une action en annulation de la décision de l’assemblée générale pour l’abandonner suite à la signature d’un accord transactionnel entre X et C ayant pour objet la cession du certificat no 21a incorporant le droit d’utiliser le bar et du bail se rapportant à la boutique. Ultérieurement C a réintroduit une action en révision tendant à l’annulation de la même décision.
Après avoir rappelé les conditions d’application de l’article 706 CO et l’effet formateur de l’action, le Tribunal fédéral précise que celle-ci peut être intentée par chaque actionnaire contre la société dans la mesure où il dispose d’un intérêt juridique personnel à l’annulation de la décision. En d’autres termes, l’action doit lui être utile. L’intérêt juridique à l’action est défini largement puisqu’il suffit qu’il y ait l’intention de préserver les intérêts de la société et que le jugement modifie concrètement la situation juridique de l’actionnaire. Le Tribunal fédéral réserve cependant l’abus de droit, en précisant qu’en vertu de l’art. 2 al. 2 CC l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi, notamment en cas d’attitude contradictoire (venire contra factum proprium) lorsque le comportement antérieur d’une partie a inspiré une confiance légitime chez l’autre partie et a déterminé celle-ci à des actes qui se révèlent préjudiciables à ses intérêts une fois que la situation a changé. Le TF relève, en l’espèce, l’attitude contradictoire de X qui agit pour annuler judiciairement la décision de l’assemblée générale ayant permis la création du certificat no 21a dont il est devenu propriétaire. L’acquisition du certificat par X constitue en effet un acte concluant par lequel il a reconnu la titularité de la venderesse sur le titre et le droit de celle-ci de le prendre à bail. Cette acquisition était de nature à inspirer à la venderesse une confiance légitime en la régularité de la situation et avait abouti au transfert des droits existant sur les deux locaux litigieux. Le fait d’intenter une nouvelle action visant à l’annulation de cet acte est un «  venire contra factum proprium » tombant sous le coup de l’art. 2 al. 2 CC.
Le TF relève également le mal fondé de l’argument de X se rapportant à la non approbation du transfert de C à X par le conseil d’administration. En effet, X n’avait jamais requis cette approbation, et au vu de la situation, l’approbation aurait certainement été accordée dès lors que la décision de l’assemblée tendant à la confirmation des droits de C et la création des deux certificats avait donné une assise juridique à une situation de fait existant depuis les années 60.
La leçon générale à tirer de l’arrêt est que la décision de l’assemblée générale des actionnaires ne peut pas être contestée par celui qui approuve la décision ni par celui qui l’a refusée mais qui en a reconnu et accepté les effets sans réserve.