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Droit de l’Union européenne

Protection des actionnaires minoritaires

En date du 23 septembre 2010, la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu un arrêt suite à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), conformément à l’art. 234 du Traité CE (actuellement, art. 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), dans le cadre d’une affaire soulevant la question de l’existence éventuelle d’un principe général en droit communautaire d’égalité des actionnaires en cas de cession d’une participation de contrôle moyennant paiement, au cédant, d’une prime de contrôle.
Cette jurisprudence s’inscrit dans le complexe de faits suivant. L’actionnaire de contrôle d’une société luxembourgeoise cotée en bourse a, au moyen de plusieurs transactions, cédé sa participation de 30 % dans le capital de celle-ci à une société tierce de droit allemand, en échange de 25 % du capital de cette dernière. Le cédant a obtenu de la cessionnaire une prime de contrôle. Des actionnaires minoritaires de la société luxembourgeoise ont alors invoqué le droit de bénéficier d’un traitement égal à celui du cédant. Déboutés de leurs conclusions en première et seconde instances luxembourgeoises, au motif qu’elles ne reposaient sur aucune norme ou principe de droit reconnu, les requérants ont saisi la Cour de cassation, laquelle a, par arrêt du 21 février 2008, sursis à statuer jusqu’à ce que la CJCE se soit prononcée à titre préjudiciel sur l’existence d’un principe général d’égalité entre actionnaires découlant du droit communautaire.
Par arrêt du 15 octobre 2009 (Affaire C-101/08), la CJCE a jugé que le droit communautaire ne contient pas de principe général selon lequel les actionnaires minoritaires sont protégés par l’obligation de l’actionnaire dominant acquérant ou exerçant le contrôle d’une société, d’offrir à ceux-ci de racheter leurs actions aux mêmes conditions que celles convenues lors de l’acquisition d’une participation conférant ou renforçant son contrôle sur la société en question.
Deux arguments fondent la décision de la CJCE. En premier lieu, celle-ci a estimé que la simple circonstance que le droit communautaire dérivé prévoie certaines dispositions protectrices des actionnaires minoritaires (contenues notamment dans les directives 77/91/CEE du 13 décembre 1976, 79/279/CEE du 5 mars 1979 et 2004/25/CE du 21 avril 2004) ne suffit pas pour conclure à l’existence d’un tel principe général de droit communautaire.
Par ailleurs, la CJCE a nié qu’une telle obligation soit une expression du principe général d’égalité de traitement consacré en droit des sociétés. La CJCE relève, à cet égard, que les questions du besoin éventuel de protection des actionnaires minoritaires et sa mise en œuvre sont du ressort du pouvoir législatif. C’est à ce dernier, et non à la Cour, qu’il revient de légiférer en ce domaine en pondérant tant les intérêts des actionnaires minoritaires et de l’actionnaire dominant que les conséquences qu’un tel droit et ses mesures d’accompagnement auraient dans le domaine des acquisitions d’entreprises. Seul un choix législatif permettrait, en effet, de concilier les intérêts en jeu avec la sécurité du droit.
Dans son arrêt, la Cour de cassation luxembourgeoise a également rejeté le pourvoi, jugeant que le droit positif luxembourgeois ne va pas plus loin que le droit communautaire tel que dégagé par la CJCE dans l’arrêt susmentionné.
La solution prônée par la CJCE aussi bien que par la Cour de cassation luxembourgeoise doit être approuvée. Le principe d’égalité de traitement impose certes que des situations comparables ne reçoivent pas un traitement différent et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale. Néanmoins, ce principe ne saurait cautionner à lui seul que l’actionnaire dominant soit chargé d’une obligation particulière au bénéfice des autres actionnaires. Consacrer une telle obligation générale tendrait à établir une inégalité de traitement sous prétexte d’en gommer une autre, en pénalisant l’actionnaire majoritaire, et déploierait des conséquences sans doute néfastes dans le domaine des acquisitions d’entreprises. A ces réserves s’ajoute, enfin, l’argument que d’autres moyens seraient aptes à protéger les minoritaires (par exemple en circonscrivant l’emprise de l’actionnaire majoritaire sur la société par une limitation de ses pouvoirs).