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LBVM

L’art. 11 LBVM ne s’applique qu’aux « négociants »

Dans un arrêt récent publié le 28 septembre 2010 (Arrêt 4A_213/2010), le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence relative à la double nature de l’art. 11 LBVM et a, pour la première fois à notre connaissance, eu l’occasion de préciser que cette norme ne s’appliquait qu’aux « négociants » assujettis à la LBVM, ce qui ne constitue guère une surprise et résulte plus d’une lapalissade.
La procédure dont a eu à connaître notre Haute Cour s’inscrit dans le cadre d’une action en responsabilité initiée à l’encontre des organes d’une société offshore qui s’était vu confier un mandat de gestion par la recourante. La Cour cantonale dont la décision a été attaquée par devant le Tribunal fédéral a non seulement retenu que le mandat de gestion a été accompli de manière grossièrement défectueuse sur le plan civil, de nombreuses obligations contractuelles n’ayant pas été correctement exécutées par la gestionnaire, mais également que l’un des organes de cette société a commis un abus de confiance aggravé à l’égard de la recourante sur une partie des avoirs confiés. La Cour cantonale a condamné cet organe au paiement du dommage relatif à l’abus de confiance et a rejeté l’action pour le surplus.
Le Tribunal fédéral a d’abord constaté que le droit suisse était applicable au présent litige dans la mesure où les activités de la société avaient été largement, si ce n’est exclusivement, déployées depuis la Suisse (art. 159 LDIP).
Après avoir relevé que les organes d’une société répondent à l’égard de chaque actionnaire ou créancier du dommage qu’ils leur causent en manquant intentionnellemnet ou par négligence à leurs devoirs, le Tribunal fédéral rappelle sa jurispudence relative à l’action du créancier social qui ne peut agir contre la société que s’il dispose d’un dommage direct causé par l’un des organes de celle-ci sans que la société n’ait été lésée et pour autant qu’elle ne soit pas en faillite. Si la société est en faillite, le créancier ne peut agir en réparation de son dommage direct que si le comportement fautif de l’organe résidait dans la violation d’une règle de droit des sociétés destinées exclusivement à la protection des créanciers.
Il constate qu’en l’espèce, la recourante réclame la réparation de son dommage direct et qu’il n’y a pas à examiner si la société a elle aussi été lésée par le même comportement puisque la société n’a pas été déclarée en faillite. Aussi, le Tribunal fédéral rappelle que la recourante peut réclamer aux organes la réparation de tout dommage découlant d’un acte illicite, d’une culpa in contrahendo ou de la violation d’une norme de droit des sociétés visant à protéger l’intérêt des créanciers.
C’est dans ce contexte que notre Haute Cour a dû examiner l’application de l’art. 11 LBVM au cas d’espèce. A cet égard, le Tribunal fédéral a rappelé sa jurisprudence désormais bien connue – mais apparemment méconnue de la Cour cantonale – reconnaissant la double nature de l’art. 11 LBVM, soit sa portée tant administrative que civile, et son but de protection des investisseurs de sorte que la violation de l’art. 11 LBVM constitue un acte illicite au sens de l’art. 41 CO (ATF 133 III 97 du 4 janvier 2007).
Cependant, la société n’était in casu pas assujettie à la LBVM – et n’avait d’ailleurs pas à l’être nonobstant l’exercice de son activité depuis la Suisse – faute de déployer son activité à titre professionnel.
Le Tribunal fédéral précise dans son arrêt que les règles de conduite découlant de l’art. 11 al. 1 LBVM ne s’appliquent qu’au « négociant » tel que défini dans la législation sur les bourses et valeurs mobilières. Or, conformément à cette législation, la qualification de négociant suppose que l’activité soit exercée à titre professionnel et ce pour tous les types de négociants (art. 2 let. d LBVM). Ce critère implique que le commerce des valeurs mobilières constitue pour le négociant une activité économique indépendante et vise à réaliser des revenus réguliers – conformément à la définition posée à l’art. 2 let. b ORC. S’agissant en particulier du négociant pour compte de client, le caractère professionnel de l’activité suppose un critère supplémentaire. Le négociant pour compte de clients est en effet réputé exercer son activité à titre professionnel que s’il tient des comptes ou conserve des valeurs, directement ou indirectement, pour plus de vingt clients (cf. Circ-FINMA 08/5:Négociant, Cm 49). Le Tribunal fédéral relève, à juste titre, qu’il ne voit aucun motif d’interpréter autrement l’art. 2 let. d LBVM.
En l’espèce, les faits ne permettaient pas de retenir que la société ou ses organes auraient effectivement géré des comptes pour plus de 20 clients ; il semblait au contraire qu’elle n’aurait eu pour seule activité que le mandat confié par la recourante. Par conséquent, l’activité de la société n’était pas exercée à titre professionnel au sens de la LBVM et l’art. 11 de cette loi ne pouvait constituer un fondement de l’acte illicite en vue de la réparation du dommage subi par la demanderesse.
La solution du Tribunal fédéral doit être approuvée et découle d’ailleurs de l’évidence. En effet, la LBVM contient un champ d’application clairement défini et l’on ne saurait dès lors admettre qu’elle déploie des effets auprès des non-assujettis, soit des entités qui ne remplissent pas les critères de qualification du négociant au sens de l’art. 2 let. d LBVM.
Certes, cette solution conforte le régime différencié relatif à l’obligation d’information selon que le « négociant » est assujetti ou non à la LBVM. Cette distinction résulte cependant d’une volonté claire du législateur qui a clairement délimité le cercle des personnes assujetties. Dans la mesure où notre Haute Cour tend parfois à privilégier une interprétation extensive s’agissant des normes qui visent à protéger les intérêts de particuliers, notamment des investisseurs, cette clarification consacrant une application stricte de l’art. 11 LBVM aux assujettis évite toute éventuelle ambiguïté.