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Avoirs en déshérence

La fin d’une grossesse indésirable

Après dix ans de travaux préparatoires entamés et avortés, le Conseil fédéral a enfin décidé de proposer aux Chambres une solution minimaliste pour les avoirs non réclamés détenus par les banques. Dans son message du 1er octobre 2010 (« avoirs en déshérence ») complémentaire au message du 12 mai 2010 (« garantie des dépôts »), il propose d’introduire un article 37m dans la loi sur les banques, immédiatement après l’article 37l proposé en mai.
Les éléments principaux du dispositif complet se résument ainsi :

  • Toute banque peut transférer des avoirs en déshérence à une autre banque sans l’accord des clients concernés ; il faut et il suffit d’un contrat écrit entre les deux établissements.
  • Toute banque reprenant des avoirs en déshérence peut les liquider lorsque l’ayant droit ne s’est pas manifesté malgré une publication.
  • La liquidation éteint les droits des clients ; son produit revient à la Confédération.
  • Le Conseil fédéral détermine les conditions dans lesquelles des avoirs sont réputés être en déshérence et règle la publication et la liquidation de ces avoirs.

La solution proposée est économique à bien des égards. Contrairement à l’intention initiale du parlement et du gouvernement, qui cherchait une solution pour tous les intermédiaires financiers (et notamment les assureurs), elle se limite aux banques, qui demandent depuis longtemps à pouvoir se défaire en mains des pouvoirs publics des avoirs pour lesquelles les chances de retrouver les ayants droit sont quasi-nulles. Le Conseil fédéral vise expressément à concentrer sur quelques-unes cette activité de reprise et de liquidation d’avoirs en déshérence. Pour le reste, il entend légiférer par voie d’ordonnance.
La solution soumise aux Chambres confine au minimalisme et met à mal le principe de légalité. Les bases légales proposée ne mentionne aucun délai pour cette nouvelle forme de prescription (ou d’expropriation) des créances et des droits de propriété et renvoient la question à une ordonnance du Conseil fédéral. Il n’introduit aucune obligation des banques de maintenir ou de rétablir le contact et s’en remet implicitement à l’autorégulation. Heureusement, les directives de l’Association suisse des banquiers, qui datent de 2000, assurent un degré de protection élevé des intérêts des ayants droit.
Aussi incomplète et critiquable que soit cette proposition, il faut pourtant souhaiter qu’elle aboutisse. Voici plus de 13 ans que des motions parlementaires réclament une législation. Un premier avant-projet (2000) ne trouva pas grâce en consultation. Un deuxième [avant-projet d’une loi fédérale sur les avoirs non réclamés (2004) succomba devant le gouvernement, qui estimait que le problème n’était plus d’actualité et ne justifiait pas une loi spéciale. Un troisième (2009), fondé sur les règles du code civil relatives à la déclaration d’absence, a montré ses limites dans une nouvelle consultation. Manifestement, le courage des autorités politiques en cette matière est très limité. La crise des avoirs de la deuxième guerre mondiale a laissé des souvenirs amers dans les mémoires des politiciens qui préfèrent ne pas rouvrir un débat où la Suisse leur semble n’avoir rien à gagner.
Treize ans de gestation pour un résultat aussi mince montrent la difficulté du gouvernement et de l’administration à faire face à des problèmes dont ils ne perçoivent plus l’urgence. Espérons que le parlement, qui l’avait mise en route, saura la mener à terme.
L’auteur a présidé le groupe de travail qui a formulé l’avant-projet de loi relatif aux avoirs non réclamés de 2004.