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Poursuite pour effets de change

Validité d'une lettre de change tirée sur le tireur

Dans l’arrêt 5A_378/2010, le TF a été amené à se prononcer sur la recevabilité d’une opposition à une poursuite pour lettre de change rejetée par les instances cantonales. A l’appui de son recours, la poursuivie invoquait l’invalidité de l’engagement cambiaire, motif pris notamment d’une prétendue absence de mandat pur et simple de payer (art. 991 ch. 2 CO). Cette procédure d’opposition avait été préalablement ajournée en raison d’une plainte qui a donné l’occasion au TF de confirmer, en janvier de cette année, que le principe du bénéfice de discussion réelle (beneficium excussionis realis, art. 41 al.1bis LP) n’est pas applicable à la poursuite pour effets de change (art. 177 al. 1 LP ; ATF 136 III 110, Marie Jenny, actualité CDBF n° 665).
La lettre de change est basée sur le mécanisme juridique de l’assignation (art. 466 CO) qui se trouve incorporée dans un papier-valeur. Elle met, en principe, trois personnes en relation dans laquelle le tireur charge, par une instruction irrévocable, le tiré de payer au preneur la somme portée dans la lettre de change. En raison du caractère rigoureux de l’engagement cambiaire, le texte de la lettre de change doit être clair. L’art. 991 CO décrit ainsi les éléments de forme qui la caractérisent et permettent de conclure à sa validité. Outre la dénomination de lettre de change exprimée dans la langue utilisée pour la rédaction du titre (art. 991 ch. 1 CO), le nom du tiré et la signature du tireur (art. 991 ch. 3 et 8), la lettre de change doit également contenir le mandat pur et simple de payer une somme déterminée (art. 991 ch. 2 CO). Cette instruction s’exprime alors naturellement par l’expression « veuillez payer ».
La lettre de change en cause et désignée par les termes anglais « bill of exchange » présentait les particularités d’être tirée sur le tireur lui-même et d’exprimer l’instruction de paiement par les termes « we pay » ( « nous payons » ). Dans ses développements, le TF rappelle que la loi autorise le tireur à tirer une lettre de change sur lui-même (art. 993 al. 2 CO). Dans ce cas, tireur et tiré sont une même personne. Ainsi, l’ordre de payer s’exprime, selon notre Haute Cour, de manière logique par les termes « we pay ». Le texte de la lettre de change est alors dénué de contradiction interne et ne pose pas de problème d’interprétation de sorte que sa validité ne saurait être remise en cause.
Si la loi ne laisse aucune ambiguïté sur la possibilité d’émettre une lettre de change tirée sur le tireur, il est dommage que le TF n’ait pas saisi cette occasion pour s’exprimer davantage sur les particularités d’un tel effet de change ni sur la nature juridique de l’instruction à soi-même qui semble en découler. Cette dernière semble difficilement compatible avec le mécanisme de l’assignation et ressemble davantage à un engagement de payer, caractéristique du billet à ordre (art. 1096 CO). Des éclaircissements sur les éventuelles différences juridiques entre ces deux catégories d’effets de change auraient également été bienvenus.
Enfin, le TF a laissé ouverte la question débattue en doctrine de l’application de l’art. 100 al. 3 let. a LTF qui prévoit un délai de 5 jours pour recourir (en dérogation à la règle générale des 30 jours, art. 100 al. 1 LTF) contre les jugements rendus sur la recevabilité de l’opposition dans la poursuite pour effets de change. A la lettre, l’art. 100 al. 3 let. a LTF ne s’applique toutefois qu’aux décisions d’une autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour effets de change et non à celles d’une autorité judiciaire, comme c’était le cas en l’espèce. Dès lors que la poursuivie avait déposé son recours dans le délai de 5 jours, le TF n’a pas eu besoin de trancher ce point.