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Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 5 janvier 2010

Suisse USA : la FINMA a-t-elle excédé ses compétences ?

Le 18 février 2009, la FINMA transmet aux autorités américaines les dossiers complets de 285 clients américains d’UBS. Le 5 janvier 2010, le Tribunal administratif fédéral décide que la FINMA n’avait pas la compétence de prendre une telle décision, qui était donc illégale.
En septembre 2007, les autorités américaines ouvrent une enquête contre UBS, qui a organisé des systèmes de fraude fiscale pour leurs importants clients américains.
En juin 2008, la Suisse persuade les Etats-Unis de renoncer à poursuivre cette procédure contre UBS : ils peuvent demander les renseignements souhaités aux autorités suisses, par la voie de l’entraide administrative internationale.
Les autorités américaines présentent une telle requête en juillet 2008 à l’Administration fiscale fédérale. Celle-ci demande à UBS l’apport des dossiers et rend une série de décisions acceptant d’accorder l’entraide. Un grand nombre de clients américains recourent contre « leur » décision auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF).
En décembre 2008, les Etats-Unis indiquent aux autorités suisses que les délais de la procédure d’entraide sont trop longs. Si cette procédure n’aboutit pas rapidement, ils intenteront une procédure pénale contre UBS aux Etats-Unis.
Une telle perspective aurait pu entraîner des conséquences très graves pour UBS (illiquidité ou même insolvabilité) et par conséquent pour l’économie suisse en général. Saisi par la FINMA, le Conseil fédéral examine trois solutions concevables :
– une décision du Conseil fédéral ordonnant la transmission des dossiers aux autorités américaines, sur la base du droit d’exception (« lorsque la sauvegarde des intérêts du pays l’exige », art. 184 al. 3 de la Constitution) ;
– une décision d’UBS de transmettre ces dossiers, en violation du secret bancaire, en invoquant « l’état de nécessité » ;
– une décision de la FINMA, basée sur les art. 25 et 26 de la loi sur les banques (mesures pour prévenir l’insolvabilité d’une banque).
Le Conseil fédéral écarte la première solution ; UBS écarte la seconde. Le Conseil fédéral engage la FINMA à prendre les mesures utiles.
Le 18 février 2009 (décision non publiée), la FINMA décide d’ordonner à UBS de lui remettre les dossiers de 285 clients, qu’elle transmet immédiatement aux autorités américaines.
Le 5 mars 2009, le TAF se prononce sur les recours de deux clients américains contre la décision prise à leur égard par l’Administration fiscale fédérale. Le TAF estime que le traité de double-imposition Suisse USA permet la transmission des dossiers aux autorités américaines.
D’une part, il s’agissait non pas de simple « évasion fiscale », mais bien de « tax fraud and the like ». (Cette question est aujourd’hui dépassée, pour les relations avec de nombreux pays).
D’autre part, le fait que la requête américaine ne mentionnait pas le nom des clients n’est pas un obstacle à la transmission des dossiers. (C’est, pour l’avenir, la question la plus importante et la plus délicate : ceci n’est-il valable que pour les relations avec les Etats-Unis, ou peut-être aussi pour les relations avec d’autres pays ?).
Cet arrêt du TAF n’avait pas de conséquence directe, puisque les dossiers étaient déjà transmis depuis trois semaines aux Etats-Unis. Le « dispositif » de l’arrêt se borne donc à condamner les recourants aux frais.
Tous les autres recours furent ultérieurement retirés.
Deux clients américains décidèrent de recourir contre la décision de la FINMA du 18 février 2009 auprès du TAF. Dans son arrêt du 5 janvier 2010, celui-ci considère qu’à part les autorités compétentes en matière d’entraide internationale (administrative ou pénale), seul le Conseil fédéral aurait pu décider de transmettre ces dossiers aux USA, sur base du droit d’exception.
Les art. 25 et 26 de la Loi sur les banques permettent à la FINMA de prendre de très nombreuses mesures, l’énumération de la loi n’étant pas exhaustive. Mais ces mesures ne comprennent pas le droit de transmettre à l’étranger des dossiers de clients ; telle n’était en effet certainement pas l’intention du législateur et personne, avant la décision du 18 février, n’aurait pu l’imaginer.
On peut comprendre les motifs qui ont amené la FINMA à prendre sa décision. Juridiquement, les considérations du TAF, longuement motivées, sont assez convaincantes.
La FINMA va probablement recourir au Tribunal fédéral contre l’arrêt du TAF. Le Conseil fédéral l’encourage d’ailleurs dans cette voie (même si la recevabilité d’un tel recours est incertaine).
Les conséquences de l’arrêt du TAF, s’il était confirmé par le Tribunal fédéral, sont incertaines :
– Les clients américains pourraient-ils demander des dommages-intérêts à la FINMA ou à la Confédération ? Cela semble peu probable. D’une part, les clients américains sont responsables au premier chef de leur fraude fiscale ; d’autre part, même sans la décision de la FINMA, les informations auraient été transmises plus tard, conformément à l’arrêt du TAF du 5 mars 2009.
– Les personnes responsables de la décision de la FINMA du 18 février 2009 pourraient-elles être poursuivies pénalement, pour violation du secret bancaire ou du secret de fonction ?
– La loi sur les banques devrait-elle être modifiée, pour étendre les compétences de la FINMA, comme cette dernière le suggère ?
La décision incidente du TAF du 30 avril 2009 (B-1092/2009) portant sur la qualité pour recourir des clients américains est également accessible sur le site du TAF.