Aller au contenu principal

Responsabilité de la banque en tant qu’organe de fait

Nouvel arrêt du Tribunal fédéral

Le Tribunal fédéral vient de publier les considérants d’un arrêt du 9 novembre 2009 (4A_389/2009) qui lui a donné l’occasion de rappeler les règles relatives à la responsabilité de la banque réputée agir en tant qu’organe de fait.
A., X. et C., ainsi que D. et E., avaient constitué une société simple appelée Consortium V. dans le but de construire un complexe immobilier (ci-après le « chantier »). A cet effet, ils avaient conclu le 10 juin 1996 un contrat d’entreprise générale avec la société W. SA. W. SA a été mise en faillite le 10 octobre 1997.
À la suite d’une poursuite en réalisation de gage ouverte par la banque Y. contre X., ce dernier a ouvert devant le Tribunal cantonal du Valais une action en libération de dette le 1er octobre 1999, en faisant valoir que le consortium lui avait cédé ses droits à l’encontre de la banque Y. et qu’il invoquait des créances du consortium qui auraient résulté du comportement de la banque en relation avec le chantier.
Par jugement du 23 juin 2009, la Cour civile I du Tribunal cantonal du Valais a rejeté l’action en libération de dette et l’action additionnelle en paiement. X. interjette un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral examine successivement les trois prétentions distinctes que X. fait valoir contre la banque.
En premier lieu, X. reproche à la banque de s’être approprié, par le jeu d’une compensation, le solde d’un compte « sous-traitants », ouvert par W. SA dans le cadre du chantier, et qui avait été régulièrement alimenté par les paiements du consortium. Le consortium ne pouvait donc prétendre à aucun droit sur ces fonds passés dans le patrimoine d’autrui. Titulaire du compte en question, W. SA disposait d’une créance envers la banque tendant à la remise de ces fonds. Comme W. SA était en même temps débitrice de la banque pour d’autres causes, Y. était en droit d’opérer la compensation, droit que la faillite de W. SA ne lui enlevait pas (article 213 alinéa 1 LP). La compensation est donc valablement intervenue. À supposer qu’il s’agisse d’acomptes et que W. SA n’ait pas fourni la prestation correspondante, le consortium pourrait s’adresser à elle sur la base des règles relatives à l’enrichissement illégitime, mais il ne dispose d’aucune action contre la banque.
En second lieu, le recourant reproche à la banque d’avoir laissé W. SA prélever sur ce compte des sommes qui ont été affectées à d’autres fins que le paiement des sous-traitants. Notre Haute Cour rappelle que, dans une situation de contrat d’entreprise générale, il n’existe en principe aucune relation contractuelle directe entre le sous-traitant et le maître de l’ouvrage. Le consortium n’ayant pris aucune des mesures contractuelles qui permettent de se prémunir contre le risque de devoir payer deux fois, il n’avait aucun droit quant à l’utilisation des sommes versées à W. SA. X. n’est donc pas davantage titulaire de la seconde créance.
Enfin, X. soutient que l’ouvrage a été livré avec du retard et qu’il en est résulté un dommage pour le consortium. La banque Y. aurait agi comme organe de fait de W. SA, tandis que le dommage aurait pu être évité si le bilan avait été déposé plus tôt. Le recourant n’invoque en l’espèce que le devoir général pour les administrateurs de déposer le bilan en cas de surendettement (article 725 alinéa 2 CO) : or, X. ne peut exercer l’action sociale, n’étant pas le cessionnaire des droits de la masse en faillite de W. SA (cf. article 757 CO). De surcroît, son argumentation suppose que l’on reconnaisse à la banque la qualité d’organe de fait de W. SA. Pour qu’une personne soit reconnue comme administrateur de fait, il faut qu’elle ait eu la compétence durable de prendre des décisions excédant l’accomplissement des tâches quotidiennes, que son pouvoir de décision apparaisse propre et indépendant et qu’elle ait été ainsi en situation d’empêcher la survenance du dommage. Le fait de suivre de près l’évolution d’un débiteur et d’exiger des mesures d’assainissement ne saurait être une immixtion dans la gestion de la société impliquant un statut d’organe de fait. Ce statut suppose en outre des pouvoirs durables et ne saurait résulter de deux actes isolés comme dans le cas d’espèce. Si des discussions ont existé entre Y. et W. SA en vue de décider quelles étaient les dettes prioritaires qui seraient payées, la décision appartenait toujours à la société : une simple aide à la décision ne suffit pas pour conférer le statut d’organe de fait. La troisième prétention doit également être rejetée.
On ne peut qu’approuver la solution à laquelle le Tribunal fédéral a abouti. En effet, l’extension trop large de la notion d’organe de fait aurait en pratique des conséquences regrettables. En rappelant, à propos d’une situation fréquente dans la vie des affaires, qu’on peut aider une société à prendre certaines décisions sans pour autant devenir organe de fait, notre Haute Cour apporte un soulagement à tous ceux qui peuvent être amenés à conseiller des sociétés en difficulté et évite ainsi des situations de paralysie qui pourraient encore aggraver certaines situations. Enfin, s’il est toujours tentant de poursuivre les banques, débitrices réputées solvables, le présent arrêt rappelle que leur responsabilité n’est pas pour autant illimitée et indéfinie