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Porte-fort et cautionnement

Critères de distinction entre ces deux instruments de garantie

Le Tribunal fédéral devait trancher, dans un arrêt (4A_279/2009) rendu le 14 septembre 2009 non destiné à la publication, la question de savoir si des engagement de garantie, donnés par une personne physique, devaient être qualifiés de porte-fort (art. 111 CO) ou de cautionnement (art. 492 CO). Si la question est à ce point récurrente en droit suisse, c’est d’une part que selon la qualification donnée audit engagement, celui-ci peut être nul notamment s’il ne respecte pas les exigences de forme du cautionnement (indication numérique dans l’acte même du montant total à concurrence duquel la caution est tenue, forme authentique pour les engagements pris par une personne physique, consentement écrit du conjoint ; art. 493 et 494 CO), et d’autre part en raison du fait que les critères de distinction entre ces deux instruments ne sont pas faciles à appliquer.
L’état de faits sous-jacent à cette affaire était le suivant : une banque, ayant consenti deux prêts à une société en commandite, avait obtenu de l’associé indéfiniment responsable de cette dernière deux engagements intitulés « Personal Guarantee » pour garantir le remboursement desdits prêts. Après que la société eut fait défaut, la banque avait actionné l’associé en paiement des garanties. Déboutée en première instance au motif qu’il s’agissait de cautionnements nuls à la forme pour n’avoir pas été passés en la forme authentique, la banque avait eu gain de cause devant l’Obergericht du canton de Zoug qui, pour sa part, avait qualifié les engagements de porte-forts analogues au cautionnement (bürgschaftsänhliche Garantien). Le garant faisait donc appel de cette décision au Tribunal fédéral.
On sait que la différence entre garantie indépendante (art. 111 CO) et accessoire (Art. 492 CO) consiste en ce que, dans le premier cas, le garant assure la prestation promise au créancier comme telle, indépendamment du contenu et de la validité de l’obligation découlant du rapport de base, alors que, dans le second cas, le garant lie son obligation de paiement éventuel à l’inexécution du contrat de base. En conséquence, dans une garantie indépendante, le garant ne pourra soulever les exceptions ou objections pouvant résulter de la relation juridique entre le bénéficiaire de la garantie et son débiteur ; dans une garantie accessoire, en revanche, l’obligation de paiement du garant dépendra de la relation contractuelle de base entre le bénéficiaire de la garantie et le débiteur ; si la dette principale est nulle, la garantie ne déploiera pas d’effet. Par ailleurs, ces deux instruments sont soumis, on l’a vu, à des exigences de forme différentes.
Comment opérer la distinction entre garantie principale et accessoire ? Pour ce faire, notre Haute Cour a développé un large éventail de critères d’interprétation. Nous les avions déjà énumérés dans un précédent commentaire d’arrêt (voir Actualité no. 349 du 11 octobre 2005 ; ATF 131 III 511). Le présent arrêt n’innove pas à cet égard.
Lorsque la réelle et commune intention des parties ne peut être établie, il s’agit d’interpréter l’engagement du garant conformément au principe de la confiance en se fondant en premier lieu sur le texte de la garantie. Divers critères et indices ont été développés par la jurisprudence pour différencier ces deux types de garanties. Le critère essentiel est l’accessorité : le garant ou porte-fort prend un engagement principal, alors que la caution prend un engagement accessoire, c’est-à-dire un engagement dont l’exigibilité dépend de la dette principale. Le fait que l’obligation corresponde exactement à celle du débiteur principal et qu’elle soit définie entièrement par référence à celle-ci, constitue un indice en faveur du cautionnement. L’existence d’un intérêt personnel du « garant », distinct de celui du débiteur principal, de même que le fait que la garantie est donnée à un moment où l’on sait que le débiteur principal ne pourra vraisemblablement pas s’exécuter, l’utilisation d’expressions telles que « irrévocable » ou « à première demande », ou la renonciation du garant à opposer « une quelconque objection ou exception », sont autant d’indices en faveur d’une garantie indépendante.
Si la distinction n’est toujours pas possible, le juge peut encore recourir aux présomptions suivantes : dans le doute, on optera plutôt en faveur du cautionnement en raison du but protecteur de la législation édictée sur ce contrat ; cette présomption est toutefois renversée en faveur du porte-fort en matière de garanties bancaires ou de sûretés concernant des contrats internationaux (en tous les cas si le paiement est stipulé « à première réquisition ») ; quant aux déclarations de garantie faites par des particuliers (surtout s’ils sont sans expérience en affaires), elles seront plutôt considérées comme des cautionnements.
Dans le cas d’espèce, les Personal Guarantees contenaient notamment la formule suivante : « If the Borrower fails to repay you the said principal sum of CHF […] then I the undersigned hereby irrevocably guarantee due repayement […]« . De surcroît, les engagements de payer étaient pris « notwithstanding tendency of any disputes or legal proceedings between yourselves and the borrower« , le paiement devant intervenir sans faire valoir ni contestation ni exception dans un délai de sept jours dès réception des demandes écrites de paiement. Enfin, les garanties stipulaient que les engagements de payer étaient absolument indépendants de toutes modifications des conditions des contrats de prêt. Tous ces éléments étaient autant d’indices, à notre avis très convaincants, en faveur du porte-fort. Par ailleurs, le fait que le garant, associé indéfiniment responsable de la société en commandite, avait un intérêt propre à l’octroi des prêts, militait également, bien que ce critère ne soit pas déterminant, en faveur d’un engagement indépendant.
Le Tribunal fédéral a donc pu considérer, sur la base de ces seuls critères et sans avoir besoin de recourir aux présomptions applicables en la matière, que les Personal Guarantees consenties par le garant devaient être qualifiées d’engagements indépendants au sens de l’art. 111 CO. Valables à la forme, ces engagements liaient le garant dont le recours a dès lors été rejeté.