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Giro bancaire

Responsabilité de la banque dans l'exécution d'ordres de transferts

Dans un arrêt (4A_54/2009) non destiné à la publication, rendu le 20 avril 2009, le Tribunal fédéral devait examiner la responsabilité encourue par une banque dans le cadre d’opérations de giro bancaire. Cet arrêt est intéressant en ce qu’il donne l’occasion à notre Haute Cour de rappeler certains principes applicables en matière de transfert bancaire.
Un client, ayant ouvert un compte auprès d’une banque suisse, avait signé divers documents tendant à ce que la correspondance de la banque lui soit adressée au bureau de représentation de cette dernière en France. Par la suite, ce client avait été amené à remettre au responsable dudit bureau trois documents signés « en blanc » afin qu’il puisse transférer rapidement, le cas échéant, tout ou partie de ses actifs. Après que le responsable du bureau de représentation – qui était intervenu dans la gestion des affaires du client et participé aux échanges entre celui-ci et la banque – ait quitté la banque, cette dernière avait reçu trois instructions, portant la signature du client, dont une ordonnait le transfert d’une importante somme d’argent en faveur d’une tierce partie. A réception de cette instruction, la gestionnaire alors en charge du compte avait téléphoné à l’ancien responsable du bureau de représentation pour se renseigner sur l’identité du bénéficiaire de l’ordre de transfert et savoir si des titres devaient être vendus pour permettre ce transfert, ce qui avait été confirmé par ledit représentant. Il s’était ensuite avéré que le client n’était pas l’auteur des instructions, et qu’il avait été fait usage des ordres en blanc qu’il avait donnés. Le client, ayant actionné la banque en remboursement du dommage subi, avait eu gain de cause devant les juridictions cantonales genevoises. La banque recourait donc au Tribunal fédéral.
Cette décision permet au Tribunal fédéral de rappeler que l’argent figurant sur un compte bancaire ouvert au nom du client est la propriété de la banque, envers laquelle le client n’a qu’une créance. En versant ou virant de l’argent depuis ce compte à un tiers, la banque transfère donc son propre argent. Lorsqu’elle le fait en exécution d’un ordre du client, elle acquiert une créance en remboursement du montant correspondant en tant que frais faits pour l’exécution régulière du mandat (art. 402 al. 1 CO). En revanche, lorsque la banque exécute un ordre de paiement sans ordre du client, par exemple lorsque l’ordre est donné par un tiers qui n’y est pas habilité, il ne naît pas, en faveur de la banque, de créance en remboursement à l’encontre du client non impliqué dans l’opération. Le dommage découlant du paiement indu est dès lors un dommage de la banque, non du client. La banque peut tout au plus demander des dommages-intérêts à son client s’il a fautivement contribué à causer le dommage qu’elle a subi. Ainsi, le client qui n’a pas, d’une manière ou d’une autre, incité la banque à procéder au transfert indu, n’a pas à supporter le dommage qui en résulte, même en l’absence de faute de la banque.
Notre Haute Cour relève cependant que cette réglementation légale peut être modifiée conventionnellement entre le client et la banque. Cela ne revient pas à exclure ou limiter la responsabilité de la banque pour un dommage du client, mais bien à reporter le dommage de la banque sur le client. Des clauses de ce genre, qui se retrouvent dans les conditions générales de nombreuses banques suisses, prévoient que le dommage résultant de défauts de légitimation ou de falsifications non décelées est supporté par le client, sauf en cas de faute grave de la banque. C’est l’art. 100 CO, régissant les conventions d’exonération de la responsabilité pour inexécution ou exécution imparfaite du contrat, qui s’applique par analogie à une clause de ce type. Il s’ensuit qu’une telle clause est d’emblée dénuée de portée si un dol ou une faute grave sont imputables à la banque (art. 100 al. 1 CO). En cas de faute légère de la banque, dont l’activité est assimilée à l’exercice d’une industrie concédée par l’autorité, le juge peut tenir cette clause pour nulle (art. 100 al. 2 CO). Enfin, cette possibilité de tenir la clause pour nulle n’existe pas si la faute légère a été commise par un auxiliaire de la banque (art. 101 al. 3 CO).
Dans le cas d’espèce, la banque contestait que son auxiliaire, gestionnaire du compte du client, ait commis une faute en s’adressant au responsable du bureau de représentation pour s’assurer de ce qu’il convenait de faire à réception de l’instruction de transfert. Pour la banque, en effet, l’ancien responsable du bureau de représentation de la banque en France avait qualité pour représenter le client. Cet argument est écarté par le Tribunal fédéral qui constate que le client n’avait pas donné procuration audit responsable pour le représenter. En effet, rien dans le dossier bancaire ne permettait à la gestionnaire du compte de retenir que l’ancien responsable du bureau de représentation avait pouvoir d’agir au nom du client. Par ailleurs, la gestionnaire aurait dû être d’autant plus diligente qu’il s’agissait du transfert d’un montant important ; l’opération était au surplus insolite dès lors que le client n’avait en sept années jamais donné un ordre de transfert aussi élevé en faveur d’un tiers. Selon notre Haute Cour, le contrôle des pouvoirs de tiers n’étant pas difficile, il y a lieu de poser des exigences élevées quant à l’attention dont doit faire preuve la banque. Dans ces circonstances, la faute de la gestionnaire du compte ne pouvait être qualifiée de légère, de sorte que l’exonération contractuelle de la banque ne pouvait trouver application.
La banque faisait encore valoir que son auxiliaire n’avait pas eu de motifs de douter de la validité de l’ordre dès lors que la signature était de la main du client et qu’il n’y avait pas d’indice sérieux d’un faux. Cet argument ne trouve pas non plus grâce aux yeux du Tribunal fédéral qui constate que l’opération avait un caractère insolite ; cela n’avait d’ailleurs pas échappé à la gestionnaire du compte, ce qui l’avait conduit à se renseigner avant d’exécuter l’ordre de transfert. Sa faute était d’avoir admis à tort que l’ancien responsable du bureau de représentation de la banque avait pouvoir de représenter le client.
La banque prétendait également que le client n’avait pas prouvé le dommage qu’il aurait subi suite à l’exécution de l’ordre litigieux. L’argument est rejeté au motif que le client n’avait pas subi de dommage par l’exécution de l’ordre litigieux, mais en raison du fait que la banque, reportant à tort son dommage sur lui, avait débité son compte. Or, ce débit – et donc ce dommage – était établi.
Enfin, la banque objectait que le client avait commis une faute concomitante en signant des blancs-seings. En vain, car pour le Tribunal fédéral le dommage n’aurait pas été causé par l’utilisation des blancs-seings, mais uniquement par le manque de diligence de la gestionnaire du compte. En effet, même si la signature ne prêtait pas à doute, la gestionnaire avait pris des renseignements ; si elle s’était adressée au client, le faux aurait été décelé et le dommage évité. Ce dernier était donc dû uniquement au manque de diligence au moment de retenir le pouvoir de représentation du responsable du bureau de représentation. Le client ne devait donc pas être rendu coresponsable du dommage, et la banque a ainsi été condamnée à indemniser son client.