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Le Tribunal fédéral se penche sur le degré de diligence requis

Le Tribunal fédéral vient de publier les considérants d’un arrêt du 11 juin 2008 (4A_168/2008) qui précise le degré de diligence à observer dans le cadre d’un contrat de conseil en placements.
F.X. et H. X. ont signé en 2001 un contrat de conseil en placements (investment advisory agreement) avec la société genevoise Y. SA. Ce contrat concrétisait les relations qui existaient depuis juin 2000 entre H.X. et l’administrateur de Y. SA et excluait toute responsabilité de Y. SA pour les décisions d’investissement, qui étaient du ressort des clients. Parmi les fonds de placement présentés par Y. SA à H.X. figurait le fonds V., dans lequel H.X avait investi le 25 juillet 2000 au nom de son épouse. Le 15 mars 2002, vraisemblablement sur le conseil de Y. SA, H.X. a donné l’ordre de procéder au rachat de la moitié de ses avoirs dans le fonds V., transaction qui fut réalisée en octobre 2002 après un délai de préavis de six mois. Le 13 septembre 2002, Y. SA a recommandé à H.X. de demander le remboursement de tous ses investissements effectués dans le fonds V. qui venait de faire l’objet d’un article de presse mettant en doute sa viabilité ainsi que l’honnêteté de ses dirigeants. Il ne ressort pas du dossier que les époux X. aient suivi cette recommandation. En tout état de cause, les époux X. conservaient toujours des parts du fonds V. lorsque celui-ci fit l’objet, en juillet 2003, d’une plainte pénale de l’autorité étasunienne de surveillance des marchés boursiers qui devait aboutir à la disparition totale de la valeur du fonds.
Le 20 avril 2004, les époux X. ont actionné Y. SA devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, en faisant grief à la défenderesse d’avoir violé son devoir de diligence en leur recommandant d’acquérir des parts du fonds V. Les époux X. réclamaient à Y. SA une somme correspondant au dommage résultant de la perte de valeur de leur participation au fonds V. ; ils refusaient en outre de payer les honoraires en suspens de Y. SA. Les demandeurs ont été déboutés par jugement du 24 mai 2007, confirmé le 22 février 2008 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Les époux X. agissent par la voie du recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral en invoquant notamment la violation de l’article 398 alinéa 2 CO, la cour cantonale n’ayant pas retenu, à tort selon eux, que Y. SA avait violé son devoir de diligence et la violation de l’article 394 alinéa 3 CO, la cour cantonale n’ayant pas dénié à Y. SA tout droit à sa rémunération contractuelle.
Cet arrêt donne au Tribunal fédéral l’occasion d’analyser le contrat de conseil en placements, dans lequel le conseiller en placements conseille le client dans la gestion de sa fortune, mais ne décide pas des opérations à effectuer. C’est essentiellement ce pouvoir décisionnel du client, à qui il appartient de prendre la décision définitive, qui distingue le contrat de conseil en placements du contrat de gestion de fortune, dans lequel le gérant de fortune détermine lui-même les opérations boursières à effectuer, dans les limites fixées par le client. Le contrat de conseil en placements, en tout cas en ce qui concerne les devoirs et la responsabilité du conseiller en placements, relève du mandat au sens des art. 394 ss. CO. Le conseiller en placements doit donc exécuter avec soin la mission qui lui est confiée et sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes de son cocontractant. En principe, la diligence requise s’apprécie au moyen de critères objectifs, mais il se peut que les parties conviennent du degré de diligence que le mandataire doit mettre en œuvre. Conformément aux règles générales de la responsabilité contractuelle et à l’article 8 CC, il incombe au client d’apporter la preuve de la conclusion d’un contrat et de sa mauvaise exécution par le mandataire, ainsi que de la relation de causalité entre la mauvaise exécution du mandat et le préjudice subi.
Dans le cas d’espèce, les recourants reprochent à la Cour de justice d’avoir violé l’article 398 alinéa 2 CO pour n’avoir pas retenu que l’intimée avait manquer à son obligation de diligence à trois égards : d’une part en leur conseillant, en juillet 2000, d’investir dans le fonds V. alors que celui-ci avait fait l’objet de critiques par voie de presse en octobre 1998 et en dépit du fait que la structure de ce fonds était déséquilibrée ; d’autre part en ne leur conseillant pas, en mars 2002, de vendre la totalité de leurs parts du fonds V. Pour le Tribunal fédéral, ces trois arguments tombent à faux : l’article de presse d’octobre 1998 est resté sans effet sur les autorités et les milieux financiers, et ne saurait constituer un élément objectivement important que Y. SA aurait dû communiquer à ses mandants en juillet 2000 ; le fait qu’un ancien employé de Y. SA ait conseillé en juin 1999 à ses propres clients de réduire leurs participations au fonds V. sur la base de son opinion personnelle ne démontre nullement que l’intimée aurait violé son devoir de diligence en conseillant aux recourants, en juillet 2000, d’investir dans le fonds V. ; enfin, si Y. SA pouvait recommander en juillet 2000 aux époux X. d’investir dans le fonds V. sans violer son devoir de diligence, on en voit pas pourquoi, en l’absence d’éléments nouveaux, elle aurait dû leur recommander en mars 2002 de se désinvestir complètement de ce fonds.
Quant à la prétendue violation de l’article 394 alinéa 3 CO, le Tribunal fédéral rappelle qu’indépendamment d’une éventuelle action en dommages-intérêts, l’inexécution ou la mauvaise exécution du mandat peut être sanctionnée par une réduction des honoraires du mandataire, voire par la perte de tout droit à la rémunération dans le cas où l’exécution défectueuse du mandat est assimilée à une inexécution ou lorsque la rémunération du mandataire est elle-même constitutive du dommage causé par l’exécution défectueuse. En l’espèce, comme l’intimée ne peut se voir reprocher aucune mauvaise exécution du contrat, il n’y a pas lieu de procéder à une réduction des honoraires qui lui sont dus selon la convention des parties.
Le recours est donc rejeté.