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Faute grave et calcul du dommage

Trois aspects de l’arrêt du Tribunal fédéral du 15 janvier 2008 (4A_351/2007), qui traite de la responsabilité d’un gérant de fortune indépendant à l’égard de son client, méritent d’être relevés. Le TF a en effet discuté de la nature de l’art. 397 al. 1 CO, de la notion de faute grave et il s’est enfin penché sur le dommage dont le calcul pose souvent d’importantes difficultés dans ce domaine.
La cliente Y avait signé, fin septembre 2000, un mandat de gestion en faveur de la société de gestion de fortune X SA, portant sur les avoirs déposés auprès de la banque A, laquelle n’était pas partie à la procédure. De CHF 500’000 à la conclusion du contrat, la valeur de ses avoirs était tombée à CHF 215’600 le 12 septembre 2002, date à laquelle la cliente a mis fin au mandat, avant de réclamer judiciairement des dommages intérêts à hauteur de CHF 183’660.- en capital. Y a obtenu CHF 124’000 plus intérêts devant les tribunaux cantonaux.
X SA a recouru au TF en faisant valoir pour l’essentiel deux griefs : d’une part, avoir retenu une faute grave à son encontre rendant ainsi inopérante la clause exclusive de responsabilité ; d’autre part, avoir omis de procéder à un calcul précis dommage, ne retenant qu’une estimation fondée sur la comparaison avec l’évolution de parts d’un fonds de placement géré selon le même profil.
Parmi les trois profils proposés par X SA, Y avait opté pour un profil « pondéré » ainsi décrit dans le contrat pré-formulé par X SA « Objectif de placement : maintien ou amélioration du pouvoir d’achat. Disposition d’assumer des risques : limités, attitude plutôt défensive, prêt à prendre quelques risques. Attitude face aux remaniements du portefeuille : ouverte, optimisation/actualisation périodiquement souhaitée. »
Recourant aux règles du mandat – dont l’application au contrat de gestion de fortune passé avec un gérant indépendant n’est plus controversée – le TF a souligné qu’en choisissant un profil, le client a donné à son gérant une instruction, au sens de l’art. 397 al. 1 CO. Une telle instruction, qu’elle intervienne au moment de la conclusion du contrat ou en cours d’exécution, est en principe contraignante – le gérant ne peut s’en écarter que dans des circonstances précises, soit si la sauvegarde des intérêts du mandant impose, sans instructions, la prise de mesures urgentes ou si les instructions reçues sont illicites, contraires aux mœurs ou déraisonnables. Comme dans sa décision du 30 novembre 2006 (4C.295/2006), le TF voit dans le caractère déraisonnable des instructions, une justification permettant au mandataire de s’en écarter. La brèche ouverte peut être aussi large que la notion de déraisonnable est indéterminée. C’est une bonne nouvelle pour les gérants de fortune dont certains clients, par leurs interventions et demandes intempestives, parasitent la gestion et faussent la performance, à tel point qu’ils sont parfois contraints de ségréguer les avoirs du client. D’un côté ceux que celui-ci gère, de l’autre ceux gérés professionnellement.
X SA était passé, dans le courant de l’année 2001, d’une gestion pondérée à une gestion très agressive (70 % d’actions, certains titres représentant 15 % voire parfois 20 % des avoirs du client), générant une prise et une concentration de risques incompatible avec le profil pondéré choisi par le client. Le TF a considéré que, dès lors que le gérant avait délibérément pratiqué un type de gestion totalement incompatible avec la politique choisie par le client, il a commis une faute grave.
En l’espèce, l’affaire était claire et la qualification de faute grave presque naturelle. La réalité est souvent plus nuancée. Des écarts par rapport à la politique convenue peuvent résulter de la seule évolution du marché, de la hausse généralisée de telle classe d’actifs. En rappelant que la faute grave consistait en la violation des règles élémentaires en matière de sauvegarde des intérêts du mandant, le TF révèle le critère décisif : l’intérêt du client. Restera à déterminer ce qui était de nature à le sauvegarder.
Comme dans sa décision du 30 novembre 2006 précédemment mentionnée, le TF a confirmé que l’application de l’art. 42 al. 2 CO se justifiait dans ce cas où le montant du dommage était extrêmement difficile à évaluer. Cette disposition permet d’estimer le dommage en confrontant le portefeuille géré en violation du mandat avec un portefeuille hypothétique de même importance, géré durant la même période, soit en général, la durée du mandat. Le moment déterminant pour le calcul du dommage est celui de la révocation du mandat et non, comme l’avait soutenu X SA un horizon temps de 5 ans, dans lequel doit s’inscrire la performance d’une gestion pondérée. X SA avait en effet contesté que Y ait subi un dommage au motif que son portefeuille n’avait cessé de croître depuis la révocation du mandat (évalué alors à CHF 215’000.-), pour atteindre CHF 610’000.- environ, au jour de la saisine du TF.
Même si l’horizon temps est souvent le grand oublié lorsque que l’on parle de performance de gestion, le mauvais usage de ce facteur est probablement encore plus nocif et c’est à juste titre que le TF ne s’est pas laissé convaincre.