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Le Tribunal fédéral refuse la qualité de partie à l'actionnaire minoritaire

Dans un arrêt du 27 février 2007 destiné à la publication, marquant l’épilogue au regroupement entre Aare-Tessin für Elektrizität, Olten (« Atel ») et Motor-Columbus AG (MC), le Tribunal fédéral a fortement restreint la qualité de partie de l’actionnaire minoritaire. Suite à la décision de la Chambre des offres publiques d’acquisition de la Commission fédérale des banques du 3 mai 2006 (commentée dans l’actualité n° 438 du 16 mai 2006), les parties avaient renoncé à fusionner MC dans Atel. Cette modification de l’offre éliminait le problème de la nature de la contre-prestation proposé par l’offre publique obligatoire et a permis aux parties d’obtenir le blanc-seing de la Commission des OPA dans une recommandation du 12 juin 2006. Suite au rejet de cette recommandation par AEM S.p.A., Milan (« AEM »), un actionnaire minoritaire d’Atel, la Chambre des offres publiques d’acquisition de la Commission fédérale des banques confirma dans une décision du 4 juillet 2006 que l’offre modifiée respectait la législation boursière. AIM a alors porté l’affaire au Tribunal fédéral, sans succès.
Dans l’arrêt précité, la Haute Cour a refusé de reconnaître à AEM la qualité pour recourir, considérant qu’AEM ne disposait pas d’un intérêt digne de protection au sens de l’art. 103 let. a OJ. Son raisonnement est fondé sur la nature particulière de la procédure administrative applicable aux offres publiques d’acquisition. Les juges de Mon-Repos ont déduit des limitations à la qualité de partie devant la Commission des OPA une volonté du législateur d’imposer une interprétation restrictive de l’art. 6 de la loi fédérale sur la procédure administrative (PA) dans le contexte des offres publiques d’acquisition et ont donc considéré qu’un intervenant devant la Commission des OPA ne pouvait ni rejeter une recommandation ni être partie dans le cadre de la procédure décisionnelle. Par conséquent, AEM ne pouvait prétendre à la qualité pour recourir au Tribunal fédéral et le fait que la Commission fédérale des banques soit entrée en matière sur son rejet ne change rien à cette conclusion.
A mon avis, cette décision est regrettable. La législation sur les offres publiques d’acquisition n’a pas d’autre but que de protéger l’investisseur et en particulier l’actionnaire minoritaire (Art. 1 LBVM et 1 OOPA). Certes, la loi sur les bourses tient compte des autres intérêts en présence, notamment ceux de la société cible et de l’offrant à un déroulement rapide de la transaction, mais cela ne revient pas pour autant à retirer aux investisseurs tout intérêt digne de protection. Rappelons à ce sujet que le législateur a réglementé ce domaine par le droit administratif non pas pour permettre ces transactions – elles étaient possibles bien avant l’entrée en vigueur de la LBVM – ni pour protéger la société cible – les art. 29 et 30 LBVM restreignent son champ d’action plus qu’ils ne l’étendent – mais bien afin de protéger l’actionnariat dispersé des sociétés cotées contre des comportements abusifs des offrants et de l’administration des sociétés cibles. Cette observation vaut d’autant plus dans le domaine des offres obligatoires où les actionnaires minoritaires sont au bénéfice d’un droit positif corollaire de l’obligation de présenter une offre qui incombe à celui qui franchit le seuil de 33 1/3 % des droits de vote (art. 32 al. 1 LBVM).
Dans ce contexte, renvoyer l’actionnaire à intervenir devant la justice civile, comme le fait le Tribunal fédéral, revient à méconnaître la raison pour laquelle la voie administrative a été choisie pour appréhender ce domaine en Suisse comme ailleurs : elle seule peut garantir à l’actionnaire une protection effective et efficace. En présence d’un actionnariat dispersé, la protection garantie par la procédure civile s’avère illusoire.
Au-delà du but de la loi, il est paradoxal que le Tribunal fédéral ait basé son interprétation de la notion de partie au sens de l’art. 6 PA et de l’existence d’un intérêt digne de protection au sens de l’art. 103 let. a OJ sur les règles spéciales applicables devant la Commission des OPA. En effet, c’est parce que cette instance ne dispose pas du pouvoir décisionnel que le législateur a instauré une procédure allégée dans le cadre de l’OOPA. En revanche, la Commission fédérale de banques en tant qu’autorité n’a reçu aucun passe-droit par rapport aux exigences de la procédure administrative. Au demeurant, il est intéressant d’observer que la justice anglaise a imposé depuis longtemps au Takeover Panel, jusqu’à peu instance de pure autoréglementation, l’obligation de respecter les exigences procédurales de la CEDH. Il est ainsi surprenant que les juges de Mon-Repos ne se soient pas penché sur la question de l’applicabilité de l’art. 6 CEDH à cette procédure qui touche directement un droit civil de l’actionnaire minoritaire.
En définitive, cet arrêt du Tribunal fédéral affaiblit le volet procédural de la protection de l’investisseur, objectif premier du droit des offres publiques d’acquisition. Peut-être, dans le cas d’espèce, la Haute Cour doutait de la sincérité des motifs invoqués par AEM. Mais, face à un emploi tactique du contentieux dans le contexte des fusions et acquisitions, la voie de l’interdiction de l’abus de droit eût été plus judicieuse que de retirer à tous les investisseurs la possibilité de participer à la procédure décisionnelle.