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Etablissements offshore de banques suisses

Le 9 février 2006, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt important (Cause 2A.91/2005, publié par la CFB le 19 juin 2006), dont la motivation est désormais connue. Cette décision a déjà occupé la presse quotidienne. Ce jugement aborde de manière détaillée, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, la problématique des filiales offshore de groupes bancaires suisses, que ce soit sous l’angle de la réglementation régissant spécifiquement cette matière ou du point de vue des normes générales de la loi sur les banques et de ses ordonnances d’application.
En l’espèce, la filiale est située aux Bahamas et occupe une quinzaine de collaborateurs (alors que la maison-mère en compte une trentaine). Les deux établissements ont le même président du conseil d’administration ; le directeur général de la banque suisse siège en outre à l’exécutif de la société sise aux Bahamas. La procédure devant notre Haute Cour porte sur la décision de la Commission fédérale (a) constatant que plusieurs comptes ouverts par un Etat étranger auprès de la filiale offshore sont pleinement soumis à la législation suisse en matière de surveillance bancaire et de lutte contre le blanchiment ; (b) interdisant à la banque suisse, pour elle-même ou au sein de son groupe, en particulier pour le compte de son établissement des Bahamas, de débiter les comptes précités par des opérations de caisse ; et (c) lui interdisant, dans les mêmes conditions, de procéder à des transferts sur une base récurrente ou portant sur des montants dépassant USD 300’000 ou sa contre-valeur en une autre devise, sur une base mensuelle, entre les comptes précités. Ces mesures ont été ordonnées alors que les réviseurs externes n’ont constaté aucune irrégularité et n’ont recommandé que quelques améliorations du système mis en place en Suisse comme au Bahamas. Un rapport de révision extraordinaire établi par un cabinet d’audit tiers, alors que la procédure de recours était ouverte, s’est cependant révélé « plus critique », les recourantes ayant cependant indiqué dans une écriture complémentaire que ce document confirmait en grande partie les conclusions des premiers réviseurs.
L’analyse par le Tribunal des règles spéciales constitue avant tout une exégèse des principales dispositions de l’ordonnance de la CFB en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (OBA-CFB) ; à aucun moment, l’arrêt ne remet celles-ci en cause. Mais pour cela, la Cour devait au préalable déterminer si l’activité bancaire déployée en relation avec les comptes ouverts auprès de l’établissement étranger tombait sous le coup de la législation suisse. Le principe de la réalité économique gouverne cet examen, qui se fait au regard des circonstances concrètes du cas et non en se fondant sur des éléments formels comme le siège de l’établissement concerné ou le domicile du client ; le lieu où les valeurs sont déposées n’est pas non plus déterminant. Si l’activité en question est exercée de manière prépondérante en Suisse ou depuis la Suisse, l’autorité de surveillance spécialisée désignée par l’art. 12 LBA est compétente et les règles de ce pays trouvent pleine application. Les structures mises en place par les établissements ne doivent pas leur permettre de contourner ces normes et les objectifs qu’elles poursuivent. Ici, les rencontres avec les représentants du client se déroulent essentiellement en Suisse (une seule aux Bahamas) ; la relation contractuelle a été initiée dans notre pays, où se trouvent tant la personne agissant dans cette affaire comme principal intermédiaire entre le gouvernement étranger et la banque que les avocats ayant signature individuelle sur les comptes ou agissant comme organes des sociétés offshore titulaires de certains comptes ; le directeur général de l’établissement suisse est le responsable de la relation commerciale avec l’ayant droit économique des comptes ; les informations sur l’arrière-plan économique des transactions sont largement voire exclusivement disponibles en Suisse ; des sommes totalisant plusieurs millions de francs ont été prélevées en espèces directement auprès de la maison-mère. L’état de fait établit dès lors que les opérations menées en Suisse prévalent sur celles exécutées aux Bahamas, peu importe que des communications électroniques aient été échangées, en rapport avec le suivi quotidien des comptes, entre les responsables extérieurs à la banque et l’établissement offshore et que des opérations de back-office aient été accomplies auprès de ce dernier.
Les art. 3 et 9 OBA-CFB, qui traitent de la surveillance consolidée et de la gestion globale des risques, servent de pont au Tribunal fédéral pour appuyer son analyse en plus sur le droit bancaire général. Notre Haute Cour rappelle que les intermédiaires financiers visés à l’art. 2 al. 2 LBA ne sont pas soumis à une « simple » surveillance en matière de lutte contre le blanchiment − comme c’est le cas pour les intermédiaires mentionnés à l’art. 2 al. 3 LBA, mais tombent aussi sous le coup du régime légal gouvernant spécifiquement certains acteurs bancaires et financiers. Les normes de l’OBA-CFB font dès lors en partie écho à celles, plus générales, régissant l’organisation de la banque, la garantie d’une activité irréprochable des dirigeants, la gestion des risques, ou l’évaluation des risques et le calcul des fonds propres sur une base consolidée. La consolidation de la surveillance entraîne une globalisation des standards (élevés), en particulier en matière de lutte contre le blanchiment. Le Tribunal consacre ainsi plusieurs considérants à l’examen de la plausibilité que la banque aurait dû effectuer ; il relève qu’il existe encore de nombreuses zones grises. Même celui qui ne maîtrise pas la langue de Goethe comprendra aisément les expressions dont est truffée la dernière partie du jugement, comme « wenig klar », « wenig transparent », « wenig präzis », « ungewöhnlich », « nicht mit vagen Erklärungen des Kunden zufrieden geben », ou « aufgrund eines fiktiven Vertrags, was geldwäscherei- und aufsichtsrechtlich problematisch erscheint ». Enfin, la proportion significative de risques accrus par rapport aux opérations ordinaires au sein de l’établissement des Bahamas semble avoir eu un certain impact sur les décisions de la CFB et de la juridiction de recours.