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L'indépendance de l'organe de contrôle d'une OPA

La loi sur les bourses (art. 25 LBVM) prévoit qu’une offre publique d’acquisition doit être soumise au contrôle d’un réviseur (ou d’un négociant en valeurs mobilières, cas rarissime en pratique). L’organe de contrôle doit vérifier si l’offre est conforme à la loi et il a également certaines fonctions pendant l’exécution de l’OPA (art. 27 OOPA). Il n’est pas contesté que l’organe de contrôle doit être « indépendant » des parties à l’OPA, bien que la loi ne le précise pas expressément.
La société Saia-Burgess a fait l’objet d’une OPA « hostile » par Sumida et d’une offre concurrente par Gatebrook, présentée avec l’accord de Saia-Burgess.
Gatebrook a choisi Ernst & Young comme organe de contrôle de son OPA. Sumida a contesté son indépendance en relevant que Ernst & Young, depuis le mois de juillet, lui donnait certains conseils dans le cadre de son offre ; il s’agissait de conseils fiscaux, mais pouvant aussi porter sur d’autres aspects de l’exécution de l’offre. Ernst & Young a répondu qu’elle avait résolu ce conflit d’intérêts en prévoyant que son mandat d’organe de contrôle pour l’OPA de Gatebrook serait accompli dans un autre siège que celui de Zurich (responsable du mandat pour Sumida) et par d’autres collaborateurs.
Dans sa recommandation du 8 septembre 2005, la Commission des OPA (COPA) considère que Ernst & Young porte « plusieurs chapeaux » dans cette affaire. L’efficacité du « Chinese wall » établi par Ernst & Young ne peut pas être vérifiée. Ernst & Young ne peut donc pas être considéré comme un organe de contrôle « indépendant », ni en fait, ni surtout en apparence. La COPA a donc décidé que Gatebrook devait choisir un autre organe de contrôle ; son offre ne déploiera pas ses effets avant qu’un rapport d’un organe de contrôle indépendant soit établi.
La COPA se réfère notamment à une recommandation du 7 avril 2000. Dans cette affaire, la COPA avait affirmé le principe de l’indépendance de l’organe de contrôle. Elle avait toutefois précisé qu’un offrant peut choisir son propre réviseur (ou le réviseur de la société cible) comme organe de contrôle de l’offre ; en effet, un réviseur est par définition indépendant de la société révisée. On peut se demander si cette pratique sera maintenue à l’avenir. Il faut en effet rappeler qu’un réviseur donne aussi certains conseils à la société révisée.
Il est vrai que les deux mandats d’Ernst & Young concernaient deux OPA concurrentes sur la même société. Mais si Sumida prenait au sérieux ce conflit d’intérêts, pourquoi n’a-t-elle pas résilié le mandat qu’elle avait donné à Ernst & Young ? Et Sumida n’a apparemment pas allégué qu’elle aurait donné à Ernst & Young des informations confidentielles importantes pouvant intéresser Gatebrook.
La COPA considère que, dans l’intérêt d’une bonne procédure, elle doit pouvoir se fonder sur un organe de contrôle vraiment indépendant. On peut la comprendre. Néanmoins, n’aurait-il pas été préférable de faire ici une pesée des intérêts, en dialoguant avec les parties en cause, au lieu de décider qu’un conflit d’intérêts ne peut en aucun cas être toléré ?
Enfin, il est piquant de relever qu’après avoir souligné l’importance du rôle de l’organe de contrôle, la COPA a d’ores et déjà décidé que l’offre présentée par Gatebrook était conforme à la loi, sous réserve de quelques modifications mineures. Le rôle du nouvel organe de contrôle apparaît ainsi un peu symbolique…