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Vers une nouvelle étape dans la lutte contre le blanchiment d'argent

Le Conseil fédéral a ouvert le 12 janvier 2005 une procédure de consultation portant sur l’avant-projet d’une loi fédérale sur la mise en œuvre des Recommandations révisées du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux, publié avec un rapport explicatif.
On peut supposer que la concomitance entre la publication de cet avant-projet et l’examen de la législation antiblanchiment suisse, dans le cadre des évaluations mutuelles périodiques conduites sous l’égide du GAFI, n’est pas fortuite. Cependant, le but de la loi proposée est double : à côté de l’objectif énoncé dans son titre, soit la mise en œuvre des principes adoptés à l’occasion de la révision totale des Recommandations du GAFI en 2003, elle vise aussi à retoucher la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) sur divers points, en mettant à profit les expériences faites depuis l’entrée en vigueur de celle-ci en 1998. Voici, en bref, les principales innovations proposées :
-La définition des activités relevant du secteur financier, soumises d’ores et déjà à la LBA, est retouchée de manière à tenir compte des clarifications apportées par la pratique de l’autorité de contrôle ; s’y ajoute une clause visant les personnes – notaires, avocats, etc. – qui acceptent ou gèrent des fonds dans le cadre de la création d’une société et qui entrent concrètement en contact avec le capital de fondation.
-Pour la première fois, il est proposé d’étendre le champ d’application de la LBA à des activités en dehors du secteur financier, soit aux personnes qui font le « commerce d’œuvres des beaux-arts, de métaux précieux, de pierres précieuses, ou d’immeubles » et qui reçoivent des sommes importantes d’argent au comptant (le seuil retenu par le GAFI étant de USD/EUR 15’000). Pour ces professions commerciales, l’avant-projet propose la création d’un régime « light », comprenant les obligations d’identification, de documentation et de communication, mais non les devoirs de clarification et de formation, ni celui de se soumettre à la surveillance de l’autorité de contrôle ou de s’affilier à un organisme d’autorégulation. En l’absence d’un canevas institutionnel comparable à celui qui existe pour le secteur financier, il n’y a pas de contrôle préventif ; en lieu et place, une contravention vient sanctionner la violation intentionnelle des règles de comportement imposées à ces professions.
-Pour tenir compte des exigences posées par le GAFI, certains délits sont érigés en crimes et deviennent ainsi des infractions préalables au blanchiment : il s’agit de la contrebande aggravée, de la falsification de marchandises et du piratage de produits, du trafic illicite de migrants et des infractions boursières (délit d’initié proprement dit et manipulation de cours). La définition légale du « délit » d’initié est, en outre, élargie à l’exploitation d’informations importantes autres que celles relatives aux quelques événements énoncés trop restrictivement à l’art. 161 ch. 3 CP actuel, pour inclure notamment les profit warnings.
-Pour les actions au porteur, particulièrement répandues en Suisse et suspectées par le GAFI de présenter un risque sous l’angle du blanchiment d’argent, l’avant-projet propose, d’une part, d’instaurer l’obligation d’annoncer les principaux titulaires d’actions au porteur qui participent, en personne ou par procuration, à l’assemblée générale et, d’autre part, de faciliter la conversion d’actions au porteur en actions nominatives.
-Enfin, la révision de la LBA permettra aussi de réparer quelques erreurs commises par le législateur en 1997. Les louables efforts faits par l’autorité de contrôle pour rétablir le respect du principe de la proportionnalité, trop souvent ignoré par le texte légal, sont maintenant ancrés dans celui-ci. Par ailleurs, plusieurs amendements visent à améliorer les instruments de surveillance de l’autorité de contrôle, ainsi que le flux d’informations entre les différents acteurs du paysage institutionnel antiblanchiment, afin de combler certaines lacunes patentes, liées à la fragmentation du contrôle mis en place par la LBA.
Il n’y a aucun doute que la Suisse doit être au diapason des règles considérées comme essentielles à l’étranger ; cependant, le fait que des recommandations internationales prévoient certaines innovations ne dispense pas le législateur suisse du devoir de démontrer en quoi celles-ci sont nécessaires et adéquates au regard des enjeux sociaux identifiés. Dans l’ensemble, l’avant-projet semble traduire avec mesure les exigences internationales, ainsi que les enseignements tirés de la pratique. Pour ce qui est de l’examen de détail, les milieux intéressés disposent d’un délai à la mi-avril 2005 pour se prononcer.