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Responsabilité de la banque

Le client informé est démuni

Un client kazakh avait actionné une banque suisse pour réclamer réparation du dommage subi en lien avec la baisse de cours de la livre sterling. Par arrêt du 9 août 2019 (4A_118/2019), le Tribunal fédéral confirme le jugement de la Cour de justice genevoise déboutant le client.

Alors que la monnaie de référence convenue était le USD, les apports du client sur son compte, en mai 2008, étaient constitués en partie de dollars étasuniens (USD 35 mios) et en partie de livres sterling (GBP 33 mios, représentant à l’époque environ USD 65 mios). La banque a conservé les livres sterling ; plus précisément, dans la mesure où les livres sterling ont été en partie investies en USD, la banque a procédé à des opérations de couverture ayant pour but d’éviter l’exposition au USD et de rester économiquement investi en GBP. Le client réclamait à la banque plus de USD 10 mios, correspondant à la perte subie sur les livres sterling, par rapport au USD. Alors que le Tribunal de première instance avait alloué environ USD 10 mios au client, la Cour de justice genevoise a accepté le recours de la banque et débouté le client (cf. Nicolas Ollivier, cdbf.ch/1055).

Le Tribunal de première instance avait considéré que la banque avait fait preuve d’un manque de diligence en s’abstenant de clarifier les instructions du client et que c’était à l’insu du client que la monnaie de référence avait été modifiée de USD à GBP. La Cour de justice genevoise a elle retenu d’une part que la possibilité de convertir ou non les livres sterling en dollars étasuniens avait été discutée et que le client avait finalement décidé de ne pas les convertir. D’autre part, elle a considéré que « l’exposition du portefeuille à la livre sterling […] ressortait de manière évidente » des relevés bancaires disponibles sur l’interface en ligne. Cette divergence d’approche entre le Tribunal de première instance et la Cour de justice genevoise provenait essentiellement d’une vision différente des faits, de sorte que le Tribunal fédéral ne peut évidemment pas entrer en matière. Le Tribunal fédéral ne peut ainsi que confirmer les faits constatés par la Cour de justice genevoise, s’agissant tant de l’accord initial du client que de la ratification par l’absence d’opposition aux relevés de compte mensuels (consid. 2.2 et 2.3).

Un point intéressant concerne la monnaie de référence, dont le Tribunal fédéral juge qu’elle n’est pas décisive en l’espèce, puisqu’elle « n’est en aucun cas l’élément générateur du préjudice » invoqué, et dès lors que le client avait accepté que les avoirs soient conservés en livres sterling (consid. 3.3). Si l’affirmation paraît juste dans le cas particulier, peut-elle être comprise comme d’application générale ? D’une part, la monnaie de référence est pertinente s’agissant du devoir d’information de la banque : la banque informera le client de pertes ou de gains en fonction d’une monnaie de référence donnée. D’autre part, la monnaie de référence peut constituer un indice pertinent des attentes du client : dans le cas particulier d’avoirs apportés d’une part en USD et d’autre part en GBP, l’évolution du cours du change, indépendamment du résultat de la gestion, avait pour conséquence que le portefeuille subissait une perte importante pour un investisseur raisonnant en USD, tandis qu’il bénéficiait d’un gain important pour un investisseur raisonnant en GBP. La monnaie de référence apparaît ainsi potentiellement pertinente pour mesurer le dommage.

Le Tribunal fédéral relève encore que la banque n’a pas de devoir d’information, de conseil et de clarification particulier en lien avec les risques liés à une monnaie particulière (parmi les principales monnaies internationales) dans la mesure où il n’apparaît pas que l’investissement dans une devise soit par essence plus risqué que dans une autre (consid. 3.3). Même si le Tribunal fédéral s’exprime prudemment, en indiquant que le client n’a pas démontré le contraire dans le cas particulier, il ne paraîtrait pas exclu de donner une portée générale à cette affirmation.

S’agissant des opérations de couverture du risque de change (hedging), la banque avait procédé à des opérations visant à protéger la valeur en GBP des investissements en USD et le client reprochait à la banque d’avoir couvert le risque de change à l’envers. Le Tribunal fédéral considère d’une part que le client n’avait pas démontré le caractère déraisonnable de ces opérations, d’autre part et surtout qu’il en avait été informé par les relevés déposés banque restante (dont la Cour de justice genevoise avait précisé qu’ils pouvaient être conservés sous forme électronique plutôt que sous forme de document imprimé). À ce sujet, le Tribunal fédéral relève qu’il n’y a pas d’indices d’abus de droit de la banque et admet ainsi que le client était informé comme s’il avait effectivement reçu le courrier (consid. 3.4). Ce considérant confirme l’utilité des clauses banque restante, qui ne peuvent être remises en question que dans des circonstances tout à fait particulières (cf. Célian Hirsch, cdbf.ch/1028).

Même si le gérant avait assez systématiquement répondu ne plus se souvenir lors de son interrogatoire devant le Tribunal, et si d’autres éléments peuvent laisser penser que le gérant n’avait pas toujours fait tout juste dans cette affaire, il a été retenu en fait que le client était dûment informé de la situation. Le client a dès lors accepté le risque correspondant et la banque n’est pas responsable de la perte subie.