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Union européenne

L’équivalence : entre question technique et instrument de realpolitik

Vu de Suisse, on ne peut lire le dernier rapport de la Commission européenne relatif à sa politique en matière d’équivalence dans les services financiers qu’avec une certaine dose de scepticisme, voire d’amertume. Ce document et ses annexes, riches en considérations techniques, s’accordent en effet mal avec la récente décision de la Commission de retirer l’équivalence boursière à la Suisse pour des raisons de pure realpolitik. Il a néanmoins le mérite de présenter de façon relativement synthétique les éléments que la Commission prend ordinairement en compte dans son analyse de l’équivalence. Il fait par ailleurs écho à un précédent rapport de 2017 portant sur la même question. Nous présenterons dans les lignes qui suivent les principaux enseignements de ces deux rapports.

La notion d’équivalence est présente dans 17 textes du droit bancaire et financier de l’Union européenne. Mentionnons trois exemples permettant d’illustrer l’usage qui en est fait. Le Règlement UE 575/2013 prévoit des allègements à certaines exigences en matière de fonds propres pour certaines expositions sur des institutions financières situées dans des juridictions tierces les encadrant de façon « équivalente » (cf. par exemple l’art. 107 § 4). Le Règlement UE 596/2014 relatif aux abus de marchés exclut de son champ d’application les banques centrales et les autorité responsables de la dette publique des pays européen ainsi que des pays tiers disposant d’une législation équivalente : tel est notamment le cas de la Suisse en vertu de l’Annexe 1 au Règlement délégué UE 2016/522. L’ « équivalence boursière » récemment retirée à la Suisse est liée au Règlement UE 600/2014 MiFIR : en vertu de l’art. 23 § 1 MIFiR, les entreprises d’investissement européennes ne peuvent en principe négocier des actions que sur des plates-formes de négociation européennes ou situées dans une juridiction qui les encadre de façon équivalente. La Commission européenne est dans tous les cas l’autorité compétente pour juger l’« équivalence » d’une législation étrangère.

La Commission européenne ne reconnaît donc pas l’équivalence d’une législation étrangère dans son ensemble, mais se penche plutôt sur des parties précises de la législation du pays tiers, en fonction de l’acte européen en question et du type de règle qu’il impose d’examiner. Elle reconnaît donc l’équivalence de la législation d’un pays tiers de façon ciblée, c’est-à-dire en rapport avec un texte légal précis et des règles étrangères déterminées. Le droit suisse est ainsi reconnu comme équivalent dans 14 domaines, allant de l’audit jusqu’à la surveillance des assurances, en passant par les contreparties centrales et la notion de banque centrale. Le Japon mène toutefois la danse avec 21 décisions d’équivalence à son actif.

Comment la Commission procède-t-elle à cette analyse ?

La Commission examine l’équivalence de sa propre initiative ou sur requête d’un Etat tiers. L’examen du droit étranger est effectué par des experts des autorités financières européennes – l’EBA, l’ESMA ou l’EIOPA – et peut nécessiter des échanges avec les autorités étrangères. Les autorités européennes commencent par identifier les risques découlant d’une éventuelle exposition du marché européen à des acteurs soumis à des autorités étrangères ou à des normes importées de pays tiers (« risk-based approach »). L’équivalence du droit étranger est examinée de façon proportionnée à l’ampleur des risques identifiés (« proportionality »). Sur le fond, les autorités européennes ne procèdent pas à une comparaison « ligne par ligne » du droit étranger mais l’examinent à l’aune d’un « outcome-based process », c’est-à-dire de ses buts et de ses résultats, qui doivent correspondre à ceux promus par le droit européen. La faculté des autorités nationales à faire respecter la législation est également prise en considération. Par ailleurs, la Commission n’accorde pas l’équivalence aux juridictions non coopératives sur le plan fiscal ou présentant des déficiences dans leur dispositif anti-blanchiment.

Une décision d’équivalence peut être non seulement positive ou négative, mais également limitée dans le temps ou assortie de conditions. Elle peut également être revue à la hausse ou à la baisse en fonction de l’évolution du droit étranger et de la réalisation (ou non) des risques identifiés.

Les rapports précisent par ailleurs ce qui nous est désormais connu, à savoir que la Commission exerce en définitive un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la reconnaissance de l’équivalence. Elle se réserve donc le droit de prendre en compte d’autres considérations, comme la promotion du marché intérieur, la stabilité financière, ou des « wider external policy priorities ». C’est ici que la realpolitik, poussée par la porte, revient par la fenêtre. La Commission a donc la possibilité de transformer à sa guise une question technique en un instrument de politique étrangère – à tort ou à raison.

Notons finalement un élément secondaire mais tout de même intéressant. Le rapport de 2017 offre un aperçu utile de quatre autres techniques juridiques permettant d’appréhender les problématiques transnationales dans la législation financière en sus du système de l’équivalence :

  • Le principe du traitement national : les entités étrangères sont traitées de la même manière que les entités locales et doivent donc respecter au même titre le droit interne. C’est notamment l’approche suivie par les Etats-Unis ;
  • Le système du passeport (« passporting ») : l’autorisation délivrée par une autorité permet à l’assujetti d’exercer son activité dans plusieurs pays, sur la base d’un accord international.
  • Les traités internationaux ad hoc, comme l’Accord Suisse-EU concernant l’assurance directe.
  • Le modèle enfin choisi par le droit suisse, à savoir le système des exceptions : le droit interne octroie dans certains domaines spécifiques des exceptions en faveur des acteurs étrangers (cf. par exemple l’OBE-FINMA, les 119 ss LPCC ainsi que de nombreuses dispositions de la LIMF).