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Responsabilité de la FINMA

Pas de responsabilité envers les actionnaires

Seule la société, à l’exclusion de ses actionnaires, est affectée directement par la baisse de valeur de ses actions. Les anciens banquiers qui agissent en responsabilité contre la Confédération sur cette base se prévalent d’un dommage indirect, qui ne peut être réparé (arrêt du TF 2C_809/2018 du 18 juin 2019).

En 2003, le Ministère public de la Confédération met en examen, puis fait arrêter le directeur de la Tempus Privatbank à Zurich. Il le soupçonne de blanchir des fonds en provenance de cartels colombiens. La Commission fédérale des banques nomme aussitôt un observateur pour surveiller la banque (art. 23quarter aLB). Celle-ci, déjà en proie à des difficultés financières, est finalement vendue à une banque privée allemande. En 2011, le Tribunal pénal fédéral acquitte le directeur. Ce dernier, par ailleurs actionnaire majoritaire de l’établissement, et son associé réclament des dommages à hauteur de CHF 16.17 Mios et 1.1 Mio au Département fédéral des finances. Ils estiment en substance que les actes du MPC ont conduit à la vente précipitée de la banque, pour un prix inférieur à sa valeur réelle, et que la Confédération devrait réparer le dommage ainsi occasionné. Le Département se déclare incompétent s’agissant du directeur et rejette la demande de l’autre actionnaire.

Le Tribunal administratif fédéral confirme cette décision dans un arrêt du 3 juillet 2018 (A-3150/2016, commenté par Sarah Bechaalany, cdbf.ch/1016) :

  1. En tant qu’ancien prévenu, le premier recourant aurait dû faire valoir ses prétentions par la voie de la procédure pénale (art. 429 ss CPP). Le TAF transmet sa demande au TPF.
  2. En tant qu’ancien membre du conseil d’administration, le second recourant pouvait, contrairement à un actionnaire ordinaire, préserver lui-même ses intérêts financiers. Il échappe ainsi à la protection conférée par la LB et la norme protectrice (Schutznorm) de l’art. 23quarter aLB.

Un an plus tard, le TF se prononce sur le recours des deux actionnaires :

Il annule dans un premier temps la transmission au TPF de la demande du directeur. En l’absence d’exception et de disposition légale contraire, c’est la règle de base du droit intertemporel qui prévaut : une loi s’applique aux faits survenus durant sa période de validité (à ce sujet, cf. Milena Pirek, L’application du droit public dans le temps : la question du changement de loi, th. Fribourg, Genève/Zurich/Bâle 2018, N 471 ss). En l’espèce, les faits se sont produits bien avant l’entrée en vigueur du CPP le 1er janvier 2011, de sorte que les demandes en dommages-intérêts des deux actionnaires sont régies par la LRCF.

Dans un second temps, le TF rappelle que les règles générales de la responsabilité prévoient uniquement la réparation des atteintes directes au patrimoine. En droit des sociétés, on distingue les dommages directs et indirects en fonction de la masse patrimoniale frappée : une baisse de valeur des actions affecte directement une société (« unmittelbarer Schaden der Gesellschaft  »), mais touche ses actionnaires par ricochet seulement, en tant qu’ils détiennent des participations dans la société lésée (« als Anteilseigner der direkt geschädigten Gesellschaft »). Il en découle que les deux associés se prévalent d’un dommage indirect, dont le droit suisse exclut la réparation.

Faute de préjudice susceptible d’indemnisation, le TF rejette le recours. Ce résultat ne peut guère surprendre : réduire la responsabilité de la Confédération et de ses entités figure au rang des principes du gouvernement d’entreprise de la Confédération (cf. Rapport du 13 septembre 2006 sur l’externalisation et la gestion de tâches de la Confédération, FF 2006 7799 ss, p. 7838 ss, principe no 11). Cette politique a depuis été concrétisée notamment aux art. 19 LFINMA et 64 LPP, qui introduisent la condition de « violation d’un devoir essentiel de fonction ». Le Conseil fédéral a estimé qu’une responsabilité plus large augmenterait les taxes de surveillance pour les assujettis et durcirait la surveillance des autorités. Dans un cas concret, l’analyse de chacune des conditions de la responsabilité de l’État se heurte à ce choix politique.