Aller au contenu principal

Offres publiques d'acquisition

La suspension du droit de vote par la COPA

Dans deux volumineux arrêts B-6879/2018 et B-6887/2018 du 29 mai 2019 – entrés en force (cf. art. 83 let. u LTF) – le Tribunal administratif fédéral se penche pour la première fois sur le pouvoir de la Commission des offres publiques d’acquisition (COPA) de suspendre le droit de vote des contrevenants à l’obligation de présenter une offre publique (art. 135 al. 5 let. a LIMF).

Les faits à l’origine du litige sont, en résumé, les suivants. Plusieurs investisseurs agissant de concert acquièrent une participation de plus de 50 % dans la société israélienne SHL Telemedecine Ltd., cotée sur le SIX Swiss Exchange et spécialisée dans les traitements ambulatoires et la médecine à distance. Les actionnaires minoritaires de la société dénoncent alors à la COPA une violation de l’art. 135 al. 1 LIMF : un groupe d’investisseurs qui prend le contrôle plus de 33 1/3 % des droits de vote doit en effet présenter une offre portant sur l’ensemble des titres cotés de la société. Par décision du 26 janvier 2018, la COPA tranche que les investisseurs sont effectivement soumis à une obligation d’offre publique dans le cas d’espèce. Elle prolonge à trois reprises le délai imparti aux investisseurs pour ce faire, ces derniers éprouvant apparemment de la difficulté à trouver un financement.

Mais la COPA finit par perdre patience : par décision du 1er septembre 2018, elle refuse une quatrième prolongation et procède à la suspension des droits de vote des investisseurs en application de l’art. 135 al. 5 let. a LIMF.

Les investisseurs éconduits recourent contre cette décision auprès de la FINMA, qui les déboute par décision du 23 novembre 2018.

Ils portent l’affaire auprès du Tribunal administratif fédéral, invoquant à cet effet une longue liste d’arguments. Aucun ne trouvera grâce aux yeux des juges, qui rejettent intégralement leur recours. Dans les lignes qui suivent, nous nous focaliserons sur le raisonnement du TAF concernant la suspension du droit de vote (cf. consid. 6 des deux arrêts).

Les investisseurs allèguent en premier lieu qu’une suspension ne peut plus être ordonnée une fois que la COPA a jugé qu’une offre publique était obligatoire. En d’autres termes, la suspension du droit de vote ne serait envisageable qu’à titre de mesure conservatoire, mesure qui ne pourrait être prononcée que jusqu’à ce que l’autorité ait déterminé si l’art. 135 al. 1 LIMF est applicable dans le cas d’espèce. Fort d’une longue analyse des travaux préparatoires, le TAF répond par la négative. La suspension du droit de vote a donc deux fonctions : il s’agit d’une part d’un moyen de pression (Druckmittel) incitant l’investisseur à soumettre une offre publique et, d’autre part, d’un moyen de protéger les actionnaires minoritaires contre un changement de contrôle de la société face auquel ils seraient, sinon, impuissants. La COPA peut prononcer et maintenir cette mesure tant et aussi longtemps que l’investisseur ne respecte pas ses obligations. La suspension du droit de vote constitue donc bel et bien une sanction punissant la violation de l’obligation de présenter une offre en tant que telle.

Le TAF se penche ensuite sur une autre condition de la suspension du droit de vote : celui-ci n’est en effet possible que « lorsque des indices suffisants laissent supposer qu’une personne ne respecte pas son obligation de présenter une offre ». Or, les investisseurs allèguent qu’ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour présenter une offre, si bien que cette condition ne serait pas remplie en l’espèce. A titre liminaire, le TAF précise que la notion d’ « indices suffisants » a un caractère technique qui impose de reconnaître un large pouvoir d’appréciation aux autorités précédentes. Sur le fond, il opte pour un raisonnement pragmatique : le jugement que la COPA avait porté sur les preuves fournies par les investisseurs, alors qualifiées d’insuffisantes, s’est avéré justifié, dans la mesure où aucune offre n’a finalement été présentée entre la première décision de la COPA et l’arrêt du TAF. La suite de la procédure a donc confirmé la conclusion de la COPA, à savoir que les investisseurs n’avaient pas prouvé à suffisance de droit qu’ils seraient en mesure de présenter une offre.

Les investisseurs considèrent enfin que la mesure était disproportionnée. En particulier, elle créerait un risque excessif à leur charge, dans la mesure où elle donnerait un pouvoir quasi-illimité aux actionnaires minoritaires. Or, ces derniers n’auraient plus d’intérêt à garantir la profitabilité de la société, puisque le prix de vente de leurs actions serait dans tous les cas garanti par le mécanisme de l’art. 135 al. 2 LIMF. Le TAF répond à cet argument (1) que les investisseurs n’ont pas apporté de preuve que tel serait effectivement le cas en l’espèce, (2) que certains actionnaires minoritaires voudront vraisemblablement conserver leur participation et veilleront donc à conserver la valeur de la société, (3) qu’il n’est pas exclu, pour les actionnaires minoritaires, qu’une offre publique n’aie finalement jamais lieu et surtout (4) que les investisseurs peuvent reprendre à tout moment le contrôle de la société en présentant tout simplement une offre publique. Le TAF considère par ailleurs que la suspension du droit de vote n’a pas compliqué la recherche d’un financement : la publication d’une offre aurait immédiatement, et sans préjudice, rendu aux investisseurs l’intégralité de leurs droits.

Ces deux arrêts du TAF sont loin de constituer le point final de l’affaire. Les investisseurs se verront en premier lieu dénoncés pour violation de l’obligation de présenter une offre (art. 152 LIMF), et sont donc passibles d’une amende de 10 millions de francs. Du point de vue de la gouvernance de SHL Telemedecine Ltd., la situation semble plus floue : qui détient le pouvoir dans au sein d’une entreprise dont plus de la moitié des droits de vote sont suspendus ? Le conseil d’administration peut-il ignorer la volonté de ceux envers lesquels il engage potentiellement sa responsabilité ? Le droit n’apporte pas de réponse claire à ces questions. Nul doute que les actionnaires et leurs avocats sauront toutefois qui appeler en cas de maux de tête.