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Gestion de fortune

D'un déficit d'information à un déficit de huit millions

Dans un arrêt du 25 mars 2019, le Tribunal fédéral a rejeté le recours d’une banque qui s’était vue condamnée par l’instance cantonale zurichoise à rembourser près d’USD 8’000’000.- à un homme d’affaires russe (4A_449/2018). Alors que le Handelsgericht avait considéré que la relation bancaire était de l’execution only (HG150211-O), le Tribunal fédéral l’a qualifiée de gestion de fortune, en parvenant néanmoins au même résultat : la banque a violé son devoir d’information et doit ainsi rétablir la situation patrimoniale du client telle qu’elle était lors de l’ouverture du compte.

Depuis 2002, l’homme d’affaires russe est en relation avec une conseillère clientèle. Cette dernière est mutée début 2006 dans une banque suisse appartenant au même groupe bancaire. Afin de poursuivre sa relation avec celle-ci, l’homme d’affaires russe décide de transférer le 9 février 2006 à la banque suisse plus d’USD 8 Mios. La conseillère rencontre son client à trois reprises entre 2006 et 2008 pour lui faire signer environ 230 relevés relatifs aux investissements qu’elle a entrepris.

Durant la relation bancaire, le patrimoine du client subit de sérieuses pertes en lien avec des investissements dans des options, des futures, des métaux précieux et d’autres placements risqués.

Le client actionne sa banque devant le Handelsgericht de Zurich. En résumé, le tribunal zurichois considère que les parties étaient liées par une relation execution only. Les investissements entrepris l’ont été sans instruction du client et il n’est pas prouvé que les relevés signés par celui-ci comprennent toutes les transactions effectuées. De plus, la banque n’a pas informé son client sur le risque de ce type de transactions. Le client n’a dès lors pas valablement ratifié ces transactions. Celui-ci a ainsi le droit d’être rétabli dans la situation qui était la sienne avant qu’elles soient effectuées. Dès lors, le Handelsgericht condamne la banque à rembourser au client USD 7’917’348.-.

Le Tribunal fédéral commence par qualifier la relation bancaire. Il relève que le client était d’accord que la banque procède à des investissements sur son compte. Dès lors que la banque était autorisée à décider elle-même des investissements, les parties se trouvaient dans une relation de gestion de fortune. De plus, la solution inverse (celle de l’instance cantonale) permettrait au client de spéculer sans supporter le risque de perte puisque celui-ci pourrait décider a posteriori s’il ratifie les investissements opérés par sa conseillère.

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite le devoir d’information qui s’impose à la banque dans une relation de gestion de fortune (Aufklärungspflicht) : ce devoir impose à la banque d’informer le client des risques liés aux placements envisagés en fonction de son niveau de connaissance et de la nature de l’investissement envisagé. Il ne constitue pas une fin en soi, mais sert à compenser le déficit d’information du client. Le seul fait qu’un client soit actif dans le commerce international ne permet pas de retenir qu’il connait les risques liés aux opérations sur des options.

En l’espèce, l’instance cantonale a retenu, sans arbitraire, que le client ne connaissait pas les risques liés aux opérations sur des options. Or la banque n’a pas prouvé qu’elle avait suffisamment informé le client au sujet de ces risques. Elle a dès lors violé son obligation d’information. Le fait que le client ne se soit plaint qu’après la survenance de pertes ne constitue pas un abus de droit. En effet, il n’était auparavant pas informé des risques. La fiction de ratification invoquée par la banque ne lui est d’aucune utilité puisque cela ne change rien au manquement à son obligation d’information.

Le Tribunal fédéral se penche enfin sur la question du dommage. Il rappelle que la banque ne peut pas entreprendre des investissements risqués si le client n’est pas informé des risques. En l’espèce, la banque invoque que le client n’a pas prétendu qu’il n’aurait pas ratifié les transactions s’il avait été dûment informé des risques. Le Tribunal fédéral souligne néanmoins qu’il appartenait à la banque de prouver cette hypothèse (fardeau de l’allégation et de la preuve).

S’agissant de la preuve du dommage, le Tribunal fédéral considère que le client n’a pas besoin de démontrer l’évolution hypothétique de son portefeuille en cas d’exécution conforme du contrat, dans la mesure où il ne se prévaut pas d’une évolution hypothétique favorable, mais se contente de réclamer le montant initial de son compte. En effet, dans la gestion de fortune, il appartient à la banque de prouver de quelle façon le patrimoine du client aurait évolué si le contrat avait été exécuté de manière conforme.

Dans un obiter dictum, le Tribunal fédéral souligne que le résultat de son analyse n’aurait pas été différent s’il avait admis l’existence d’une relation execution only. En effet, la banque n’aurait pas pu, sans commettre un abus de droit, se prévaloir de la fiction de ratification dès lors que les transactions étaient effectuées sans instruction du client.

Au-delà des questions intéressantes relatives à la preuve et à la contestation du dommage, lesquelles n’ont pas été particulièrement développées dans ce bref commentaire, cet arrêt souligne l’importance du devoir d’information à la charge de la banque. En effet, une ratification par le client des investissements effectués n’est valable que si la banque a rempli en amont son obligation d’information. Ce raisonnement est convaincant dès lors que le consentement du client doit être éclairé, qu’il porte sur les opérations effectuées (execution only) ou sur la stratégie d’investissement (gestion de fortune). Partant, le client ne peut pas ratifier des investissements s’il ne dispose pas au préalable des informations nécessaires pour en comprendre les risques.