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Secret bancaire

Acquittement de Rudolf Elmer

Le 10 octobre 2018, le Tribunal fédéral a tranché : l’ex-employé de la banque Julius Bär Rudolf Elmer, accusé d’avoir transmis urbi et orbi des données clients, n’est pas coupable de violation du secret bancaire au sens de l’art. 47 LB. Il n’était en effet pas soumis au secret bancaire suisse. L’arrêt motivé du Tribunal fédéral, destiné à la publication, est disponible depuis quelques jours (6B_1314/2016).

Rudolf Elmer a travaillé dès septembre 1987 comme réviseur pour Julius Bär & Co AG à Zurich. En 1994, la maison mère zurichoise de la banque, Julius Bär Holding, l’a envoyé comme chef comptable dans la filiale Julius Baer Bank & Trust Company Ltd. (JBBT) sise aux îles Caïmans, pour une durée de cinq ans. Dès le 1er septembre 1999, Rudolf Elmer a officié en qualité de Chief Operating Officer (COO) pour JBBT. À cet effet, un Expatriate Agreement a été conclu avec Julius Bär & Co AG, tandis qu’un Assignment as Chief Operating Officer a été signé avec JBBT. En septembre 2002, un Employment Agreement entre JBBT et Rudolf Elmer a remplacé les deux premiers contrats. Il a été résilié par JBBT à la fin de l’année 2002.

Une première poursuite a été ouverte contre Rudolf Elmer en 2005. Les accusations relatives à la violation du secret bancaire peuvent se résumer comme suit :

  • en 2004, transmission aux autorités fiscales de Bâle-Campagne d’une fausse auto-dénonciation d’un client de la banque Julius Bär & Co AG pour des prétendus revenus non déclarés ;
  • en mars 2005, livraison d’un CD composé notamment de données bancaires à l’Administration fédérale des contributions et à l’Administration fiscale cantonale de Zurich ;
  • en juin 2005, transmission de données clients sur support CD au magazine zurichois Cash.

Pour ces faits, Rudolf Elmer a été reconnu coupable de violation du secret bancaire par le Tribunal de district de Zurich le 19 janvier 2011.

Une deuxième procédure pénale a été ouverte contre Rudolf Elmer en janvier 2011 à raison, notamment, des évènements suivants :

  • entre décembre 2007 et décembre 2008, la diffusion sur Wikileaks de données obtenues en sa qualité de COO au sein de JBBT et relatives à la banque Julius Bär & Co AG ainsi qu’à ses clients  ;
  • en avril 2009, l’offre faite au ministre des finances allemand de l’époque de lui livrer des données sur des résidents allemands en indélicatesse avec le fisc ;
  • entre fin 2010 et début 2011, l’annonce d’une nouvelle transmission de données sur Wikileaks.

Le 12 janvier 2015, le même Tribunal de district zurichois a reconnu Rudolf Elmer coupable de violation du secret bancaire en lien avec une partie du premier complexe de faits. Il l’a en revanche acquitté de tentative de violation du secret bancaire en lien avec les deux autres chefs d’accusation.

En appel, la Cour suprême zurichoise a statué le 19 août 2016 sur les deux procédures jointes. Elle a acquitté Rudolf Elmer de toute violation du secret bancaire, ce principalement en raison du constat que ce dernier n’était ni employé ni mandataire d’une banque suisse au moment de la prise de connaissance des données bancaires qu’il finira par diffuser. Le Tribunal fédéral lui a donné raison.

Sont soumises au secret bancaire les banques suisses. Ne le sont en revanche pas les filiales étrangères d’un établissement helvétique. L’art. 47 LB consacre un délit propre pur et ne s’étend donc pas aux collaborateurs de ces filiales.

L’applicabilité de cette dernière disposition suppose donc que Rudolf Elmer ait agi en qualité d’employé ou de mandataire d’une banque suisse. Les notions d’employé et de mandataire doivent être interprétées restrictivement au regard du principe de la légalité (art. 1 CP).

Sur ce point, le Tribunal fédéral retient tout d’abord que l’Expatriate Agreement entre Julius Bär & Co AG et Rudolf Elmer ne remplissait pas les caractéristiques du contrat de travail au sens des art. 319 ss CO.

Il examine ensuite si Rudolf Elmer pouvait être considéré comme mandataire de la banque zurichoise. À cet effet, le Tribunal fédéral indique que n’est pas soumise au secret bancaire la société tierce qui effectue des prestations dans le cadre d’un processus juridiquement et économiquement indépendant des activités d’une banque suisse. L’indépendance économique peut être donnée même si l’objectif final de ces prestations est de servir les activités bancaires.

En l’occurrence, la relation entre les sociétés Julius Bär & Co AG et JBBT était de type « Trust-Company-Struktur » : le client de la première (le Settlor) fonde un trust aux îles Caïmans et place des fonds sous le contrôle de la deuxième (le Trustee), dans l’intérêt d’un bénéficiaire. Le trust détient ainsi les avoirs déposés sur le compte suisse. Ce service proposé par JBBT aux clients doit être considéré comme un « complément » juridiquement et économiquement indépendant des mandats de gestion de la banque. Dès lors, les employés de JBBT ne sont pas des mandataires de la banque au sens de l’art. 47 LB.

Contrairement à ce que certaines considérations de l’arrêt du Tribunal fédéral ainsi que du communiqué de presse y relatif du 10 octobre 2018 laissent à penser, ce n’est pas le fait que les données révélées se rapportaient à des relations contractuelles nouées avec JBBT qui a été déterminant pour l’acquittement de Rudolf Elmer. Il a en effet été constaté qu’il s’agissait de données de Julius Bär & Co AG (consid. 3.3.1). Dès lors, la problématique s’articulait bien autour du champ d’application personnel et non matériel de l’art. 47 LB.