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Surveillance des marchés financiers

L’interdiction d’exercer face au test du principe de proportionnalité

Par arrêt du 17 janvier 2019, le Tribunal administratif fédéral a annulé le prononcé par la FINMA d’une interdiction d’exercer au sens de l’art. 33 LFINMA (arrêt B-488/2018). Ce nouvel arrêt analyse l’interdiction d’exercer sous l’angle du principe de proportionnalité et apporte des clarifications importantes sur les éléments factuels à prendre en compte afin de justifier une telle mesure à l’encontre d’individus exerçant une activité dans le domaine bancaire.

Dans le cadre de l’affaire du fonds souverain 1MDB, la FINMA a interdit à de nombreux directeurs de banques d’exercer leur activité pour des périodes de 6 mois à 5 ans. L’objet du présent arrêt porte sur le prononcé d’une interdiction d’exercer de 2 ans contre un ancien cadre de Falcon Private Bank pour avoir enfreint les dispositions en matière de blanchiment d’argent. En effet, malgré des soupçons clairs concernant l’origine vraisemblablement criminelle de fonds s’élevant à USD 1,8 milliard, ce dernier avait omis d’informer le bureau de communication au sens de l’art. 9 LBA.

Dans cet arrêt, les juges de Saint-Gall examinent dans un premier temps si les manquements reprochés à l’ex-cadre constituent une violation grave du droit de la surveillance. En l’espèce, le Tribunal administratif fédéral estime qu’en raison de sa position de responsable de la division Legal & Compliance d’une part et compte tenu des soupçons fondés relatifs à l’origine des valeurs patrimoniales reçues par la banque d’autre part, le recourant aurait dû tout au moins proposer à la direction une annonce au bureau de communication. Par cette omission, le recourant a, de manière fautive et causale, contribué à la violation de l’art. 9 al. 1 let. a ch. 2 LBA par l’établissement et commis par son propre comportement une violation grave du droit de la surveillance au sens de l’art. 33 LFINMA.

Dans un second temps, le Tribunal administratif fédéral examine si le prononcé d’une interdiction d’exercer d’une durée de deux ans résiste au test du principe de proportionnalité. À cet effet, il précise que le degré de la faute imputée à l’ex-cadre, sa coopération tout au long de la procédure ainsi que d’éventuels antécédents jouent un rôle primordial.

Si le Tribunal administratif fédéral considère que l’interdiction d’exercer satisfait aux principes de l’adéquation et de la nécessité, il estime en revanche qu’une telle mesure s’avère injustifiée sous l’angle du principe de la proportionnalité au sens étroit.

Les juges constatent en effet que plusieurs éléments de fait jouent en faveur du recourant. Tout d’abord, ce dernier a procédé à plusieurs vérifications afin de déterminer la provenance des fonds. En outre, il ressort de l’organisation de la banque que seule la direction disposait d’un pouvoir de décision en matière de prévention du blanchiment d’argent. Même si l’ancien cadre participait aux séances de direction, il n’en a jamais été membre. À cela s’ajoute qu’à l’époque des transactions, le recourant était placé sous les ordres du directeur opérationnel dont il était l’adjoint. Celui-ci, aux côtés du Chief Executive Officer, était impliqué dans toutes les étapes relatives aux transactions douteuses. De plus, l’ancien président du conseil d’administration de la banque a joué un rôle essentiel en confirmant à plusieurs reprises qu’il connaissait les raisons du transfert de fonds. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments factuels, les juges saint-gallois estiment que la faute du recourant doit être considérée comme concomitante et légère.

Enfin, l’ex-cadre a exercé son activité dans la division Legal & Compliance durant plus de 10 ans et n’a jamais commis de violation du droit de la surveillance. Il a participé activement à l’établissement des faits en faisant preuve d’une bonne coopération tout au long de la procédure. En ce qui concerne le risque de futures violations, il ressort du cas d’espèce que le comportement fautif du recourant résulte essentiellement de l’influence de l’ancien président du conseil d’administration ainsi que des membres de la direction. Ainsi, le Tribunal administratif fédéral considère que la FINMA n’a pas apporté d’éléments suffisamment convaincants qui corroboraient la thèse d’un potentiel de nuisance de la part du recourant.

Par conséquent, la mesure d’interdiction d’exercer d’une durée de deux ans à l’encontre de l’ex-cadre ne résiste pas à l’examen du principe de proportionnalité au sens étroit et s’avère injustifiée.

Dans son approche, cet arrêt doit être salué. Le Tribunal administratif fédéral analyse en détail la répartition de la faute parmi les dirigeants de l’établissement bancaire et examine également la structure de la banque ainsi que les strates hiérarchiques auxquelles s’attache un pouvoir de décision. Cet arrêt accentuera certainement le degré de précision avec laquelle la FINMA devra justifier le prononcé de mesures d’interdiction d’exercer qui constituent une atteinte grave à la liberté économique des individus concernés (art. 27 Cst).

Du côté des dirigeants, l’analyse approfondie du Tribunal administratif fédéral ne manquera pas d’influencer leur stratégie de défense en cas de procédures d’enforcement. Outre la ligne traditionnelle de défense visant à démontrer l’inexistence d’une faute commise par leurs clients, les avocats s’adonneront à l’exercice peu courtois de démontrer celle des autres dirigeants.

En soulignant la responsabilité accrue des membres d’organe disposant d’un pouvoir décisionnel, le Tribunal administratif fédéral semble ébaucher les prémisses d’un seuil hiérarchique en dessous duquel prononcer une interdiction d’exercer s’avérera particulièrement laborieux. Les développements en matière de mesures de surveillance à l’encontre d’individus ne manqueront pas d’infirmer ou d’affirmer cette conclusion.