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Assistance administrative sans information préalable

La pratique de l'AFC confirmée par le Département fédéral des finances

Les personnes qui ne sont pas directement visées par une requête d’assistance administrative en matière fiscale peuvent-elles voir leurs informations transmises au fisc américain sans en être préalablement informées ? Le Département fédéral des finances (DFF) répond à cette question par l’affirmative (Décision du DFF du 20 septembre 2018). La pratique de l’AFC de ne pas informer les « tiers » de la transmission d’informations les concernant aux États-Unis est ainsi, pour l’instant, confirmée.

Dans sa décision, le DFF a été amené à interpréter la portée de l’art. 4 al. 3 LAAF. Cette norme prévoit que la transmission de renseignements concernant des personnes qui ne sont pas des personnes concernées (les « tiers ») est exclue lorsque ces renseignements ne sont pas vraisemblablement pertinents pour l’évaluation de la situation fiscale de la personne concernée ou lorsque les intérêts légitimes de personnes qui ne sont pas des personnes concernées prévalent sur l’intérêt de la partie requérante à la transmission des renseignements.

Afin que cette disposition ne reste pas lettre morte, la jurisprudence considère que les tiers au sens de l’art. 4 al. 3 LAAF doivent pouvoir recourir contre ladite transmission. Ainsi, dans l’ATF 143 II 506 (Laurent Hirsch, cdbf.ch/982), le Tribunal fédéral a précisé que l’ex-employé d’une banque possédait la qualité pour recourir contre la décision de transmission de ses informations à l’Internal Revenue Service des États-Unis (IRS), alors qu’il n’était pas directement visé par la demande de celui-ci.

Peu après la publication de cet ATF 143 II 506, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence a ouvert une enquête à l’encontre de l’AFC qui aurait transmis les noms de centaines de personnes à l’IRS sans les informer préalablement. Dans le cadre de cette enquête, l’AFC a soutenu que ces personnes ne sont pas des « personnes concernées » et ne peuvent pas, par conséquent, recourir contre la décision de transmission d’informations. Le Préposé a alors saisi le Département fédéral des finances conformément à l’art. 27 LPD.

Le DFF examine en premier lieu si les noms de tiers peuvent être transmis au fisc américain.

Dans l’ATF 144 II 29 (Sarah Bechaalany/Fabien Liégeois, cdbf.ch/997), le Tribunal fédéral a considéré que les noms des employés de banque et de tout avocat/notaire, ainsi que les données permettant de les identifier, doivent être caviardés avant toute transmission des informations au fisc américain. Cette conclusion se fondait notamment sur le fait que l’IRS n’avait pas spécifiquement requis d’informations sur l’identité des employés de banque ou de toute autre personne extérieure à la banque. Or, selon l’AFC, l’IRS a expressément demandé depuis lors ces informations, lesquelles seraient ainsi précisément pertinentes au sens de l’art. 4 al. 3 LAAF. Partant, selon le DFF, la pratique de l’AFC est licite puisque la situation factuelle diffère de cet ATF 144 II 29.

De plus, au dire du DFF, le caviardage des noms de tiers ne serait pas praticable. En effet, les dossiers devant être transmis contiennent des milliers de pages. Procéder manuellement au caviardage retarderait la procédure au point que l’assistance ne pourrait être effectivement fournie à temps. De même, un caviardage automatique à l’aide d’un software serait « difficilement imaginable ».

Dès lors, le DFF en conclut que le caviardage des noms n’est ni autorisé ni possible dans le temps imparti. La pratique de l’AFC consistant à transmettre les noms de tiers est ainsi licite.

Dans un second temps, le DFF examine si les tiers devaient préalablement être informés de cette transmission.

L’art. 14 al. 2 LAAF impose à l’AFC d’informer de la procédure d’assistance administrative les personnes habilitées à recourir au sens de l’art. 19 al. 2 LAAF, soit toute personne ayant la qualité pour recourir au sens de l’art. 48 PA. Le devoir d’informer dépend ainsi de la qualité pour recourir : détient cette qualité la personne qui a un intérêt digne de protection. Les tiers mentionnés à l’art. 4 al. 3 LAAF ne font en principe pas l’objet de la procédure dans l’État requérant. Le DFF en conclut – de manière peu convaincante – qu’ils n’ont qu’une relation peu étroite avec le litige et ne sont ainsi généralement pas atteints dans leurs intérêts propres.

Le DFF va encore plus loin dans ses affirmations. Selon lui, on ne peut affirmer que la simple transmission du nom d’un tiers serait en soi préjudiciable. De plus, même à admettre l’existence d’un préjudice, le tiers ne s’en trouve pas pour autant démuni. En effet, selon la décision du DFF, la Suisse ne conclut des accords d’assistance administrative qu’avec les États qui garantissent les droits procéduraux. C’est toutefois oublier que la Suisse a notamment conclu des accords avec la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite et l’Azerbaïdjan

Enfin, le DFF rappelle le principe selon lequel le cercle des personnes titulaires de la qualité de partie ne devrait pas être élargi au point de rendre les mesures administratives excessivement difficiles. Ainsi, les droits procéduraux accordés sur le plan interne ne doivent pas constituer des obstacles entravant de manière inconsidérée la remise d’informations à laquelle la Suisse s’est engagée en vertu du droit international (ATF 143 II 506, consid. 4).

Partant, le DFF confirme la pratique de l’AFC de ne pas informer les tiers préalablement à la transmission des renseignements pertinents.

Cette décision, qui semble plus politique que juridique, ne convainc pas. En particulier, dans la première partie de son analyse, le DFF considère que les renseignements concernant les tiers sont « pertinents » au sens de l’art. 4 al. 3 LAAF. Toutefois, dans la seconde partie de cette même décision, le DFF considère que les tiers n’ont qu’une relation peu étroite avec le litige. Or, il est à notre sens difficilement concevable de considérer que ces renseignements sont à la fois « pertinents » tout en affirmant que les tiers ne sont pas concernés par la demande d’assistance (cf. également le commentaire critique de la pratique de l’AFC par la Prof. Andrea Opel dans la NZZ du 14 août 2018).

Le Préposé fédéral n’a toutefois pas dit son dernier mot et a déposé un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral. Affaire à suivre.