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Entraide boursière

Le TAF remet en question la confiance accordée à l’AMF Québec

Dans deux arrêts B-3495/2018 et B-3496/2018 rendus le 28 septembre 2018, le Tribunal administratif fédéral considère qu’il existe des incertitudes quant à la capacité de l’AMF Québec à respecter les principes de la spécialité et de la confidentialité, incertitudes qu’une garantie écrite émise par l’autorité de surveillance québécoise ne permet pas de lever. Il s’agit de l’une des rarissimes fois – et sans doute de l’unique en matière d’entraide boursière – où une autorité judiciaire suisse, dérogeant au principe de la bonne foi dans les relations internationales, refuse l’entraide en dépit d’une garantie écrite de la part de l’autorité requérante.

Pour rappel, le principe de la spécialité, consacré par l’art. 42 al. 2 let. a LFINMA, mais commun à tous les domaines de l’entraide (art. 67 EIMP, art. 26 al. 2 MC OCDE), fait obligation à l’autorité requérante de n’utiliser les informations obtenues qu’en vue du but spécifié par la requête d’entraide. Le principe de la confidentialité, qui est lui spécifique à l’entraide boursière, impose aux autorités étrangères de respecter le secret de fonction ou le secret professionnel (art. 42 al. 2 let. b LFINMA).

Dans la pratique constante du TF et du TAF, le principe de la confiance en droit international public impose de ne pas mettre en doute l’exposé des faits ou les déclarations des autres États. Il est donc présumé que les autorités requérantes se comportent de manière conforme au principe de la bonne foi, principe qui figure parmi les règles coutumières du droit international public. Il est tout au plus envisageable de requérir de l’autorité étrangère une garantie que les principes régissant l’entraide seront respectés. Dans la pratique constante du TF, et plus généralement des autorités suisses, l’entraide est généralement octroyée sans réserve une fois que de telles garanties sont fournies (cf. Biba Homsy, International cooperation in financial martkets regulation, A Swiss perspective, Schulthess 2017, N 186 et s. ; Robert Zimmermann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 4e édition, Stämpfli 2015, N 730).

Venons-en au cas d’espèce. L’AMF Québec enquête sur de potentiels délits d’initié en lien avec une société publique cotée sur une bourse canadienne. Elle requiert l’entraide de la FINMA afin d’obtenir des informations relatives aux transactions effectuées par deux comptes bancaires suisses. Dans ce cadre, l’AMF Québec confirme par courriel être liée par les termes et les conditions du MMoU-OICV et affirme qu’elle respectera le principe de la spécialité et que son personnel est soumis à des règles strictes de confidentialité. La FINMA accorde l’entraide.

Les deux recourantes portent à la connaissance de la FINMA, puis du TAF, un arrêt de la Cour du Québec du 6 juin 2018 opposant plusieurs prévenus de délit d’initié et de manipulation de cours à l’AMF Québec dans une affaire parallèle. Ce document est assassin pour l’autorité canadienne. Il détaille, sur 53 pages, les graves impairs et déficiences de l’AMF Québec dans le traitement de données couvertes par le secret professionnel : près de 330’000 documents couverts par le secret professionnel de l’avocat d’une partie tierce ont été transmis par inadvertance aux prévenus ; certaines pièces manifestement secrètes n’ont pas été écartées du dossier comme le requiert la législation canadienne ; certains membres du personnel de l’AMF Québec ont même ouvert et consulté des pièces protégées par le secret.  Comme le résume la Cour du Québec : « la preuve a démontré que le protocole suivi par l’AMF afin de protéger les documents privilégiés était inadéquat, incomplet, voire inexistant et son application a été déficiente. Il s’agit d’erreurs qui se sont répétées […] » (§ 202).

Pour le TAF, il existe donc des éléments permettant de nourrir des incertitudes « indéniables et légitimes » sur l’organisation interne de l’AMF Québec et sur sa capacité à respecter ses engagements en matière de confidentialité et de spécialité. Cela est d’autant plus vrai qu’un des fonctionnaires canadiens visé expressément par les reproches articulés par la Cour du Québec intervient dans la présente procédure : mieux, c’est lui qui a signé le courriel de garanties adressé à la FINMA. Dans ce contexte, il incombe à l’autorité étrangère d’apporter les « éclaircissements » propres à lever les doutes des juges saint-gallois. Le recours est ainsi admis et l’affaire est renvoyée à la FINMA.

Quels éléments l’AMF Québec pourrait-elle fournir afin que l’entraide lui soit accordée ? Les juges du TAF laissent, comme Hansel et Gretel, quelques indices derrière eux. Au consid. 5.3.1, ils expliquent ainsi que les autorités étrangères ne sont – en principe – pas tenues de fournir de « déclaration contraignante selon le droit international public quant au respect des principes de spécialité et de confidentialité ». Il se pourrait que, dans le présent cas, la rédaction d’un tel document par le gouvernement canadien s’avère nécessaire. On perçoit en tout cas, entre les lignes de l’arrêt, un certain agacement de la part des juges du TAF : le simple courriel d’un « collaborateur » ne saurait, à lui seul, neutraliser des constatations accablantes de la part d’une autorité judiciaire.