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Reddition de compte

Qualification juridique du contrat d'ouverture de crédit

Le Tribunal fédéral a rendu un arrêt 4A_263/2017 (non destiné à la publication), qui examine notamment la portée du droit à la reddition de compte dans le cadre d’un contrat d’ouverture de crédit. Cet arrêt constitue la suite d’une affaire déjà abordée par le Tribunal fédéral dans les arrêts 4A_251/2016 et 4A_265/2016 (cf. Nicolas Béguin, cdbf.ch/968).

La situation de fait demeure inchangée. En substance, une banque et une cliente avaient conclu un contrat d’ouverture de crédit relatif à un éventuel prêt d’un montant de CHF 111 millions en lien avec un projet immobilier. En sus, la banque avait pris certains engagements en vue de la mise en œuvre du projet. La banque a finalement refusé de mettre à disposition les fonds, au motif notamment qu’une condition suspensive à l’octroi du crédit n’était pas réalisée (à savoir le transfert de fonds par un investisseur-tiers sur un compte ouvert dans les livres de la banque et leur nantissement croisé en garantie du crédit). La cliente a initié une procédure judiciaire pour obtenir des informations destinées à vérifier si cette condition suspensive n’avait effectivement pas été réalisée. La cliente cherchait notamment à obtenir une copie de l’acte de nantissement apparemment signé par l’investisseur-tiers.

Les arrêts qui ont fait l’objet du Commentaire de Nicolas Béguin ont porté sur la question de savoir si ce droit à la reddition de compte pouvait découler des dispositions relatives à la société simple (art. 541 al. 1 CO). Dans ces arrêts, le Tribunal fédéral a jugé que les parties ne formaient pas une société simple, notamment compte tenu du fait qu’elles ne partageaient pas la « substance » de l’entreprise.

La jurisprudence commentée ici, qui confirme un arrêt de la Cour de Justice, examine la question de savoir si la cliente peut obtenir gain de cause en se fondant sur le droit à la reddition de compte découlant du droit du mandat (art. 400 al. 1 CO). La Cour de Justice, suivie par le Tribunal fédéral, a adopté le raisonnement suivant :

Contrat d’ouverture de crédit

A titre principal, les parties étaient liées par un contrat d’ouverture de crédit, à savoir un contrat par lequel la banque indique au client le type et les conditions du crédit qu’elle est disposée à octroyer. Ce contrat doit être distingué du contrat de crédit ultérieurement conclu. La Cour de Justice qualifie le contrat d’ouverture de crédit de « prêt avec un élément durable de mandat » (c. 3.1.2 de l’arrêt de la Cour de Justice).

En présence d’un contrat mixte, il convient de rechercher le centre de gravité des relations contractuelles pour déterminer les règles applicables à la question litigieuse (ici le droit à l’information). Examinant un contrat de crédit accordé en lien avec des transactions sur options, le Tribunal fédéral a retenu que l’obligation de rendre compte devait être réglée par les dispositions applicables au contrat de commission, donc par l’art. 400 al. 1 CO par renvoi de l’art. 425 al. 2 CO (ATF 139 III 49, c. 3.4).

Dans le cas d’espèce, toutefois, la Cour de Justice a observé que le crédit n’était pas lié à une affaire à connotation bancaire, mais à un projet immobilier. Le centre de gravité de la relation contractuelle était une relation d’emprunteur à prêteur et les obligations découlant du mandat n’occupaient qu’une place périphérique. Ainsi, le contrat d’ouverture de crédit ne conférait pas, en soi, un droit à la reddition de compte fondé sur le droit du mandat.

Obligations additionnelles à charge de la banque

Dans un deuxième temps, la Cour de Justice a examiné si une obligation de reddition de compte pouvait découler des obligations annexes spécifiquement assumées par la banque dans le cas d’espèce, soit notamment (i) la mise à disposition des connaissances de ses collaborateurs en matière de placements collectifs (vu que le véhicule de détention devait prendre la forme d’une SICAV), (ii) l’identification d’un co-investisseur et (iii) certains contacts avec les notaires impliqués dans l’opération immobilière.

L’obligation (i) n’a jamais été mise en œuvre, vu que le projet a avorté avant qu’une démarche en vue de la constitution d’un placement collectif n’ait été initiée.

S’agissant de l’obligation (ii), la banque a complètement rempli son engagement contractuel au moment où un contrat a été conclu entre le client et l’investisseur-tiers en vue de la mise en place du nantissement croisé. En revanche, la mise en place effective du nantissement (soit l’opération visée par la requête en reddition de compte du client) a principalement trait à l’exécution de ce contrat conclu entre le client et l’investisseur-tiers. Partant, selon la Cour de Justice, ce n’est pas à la banque, mais à l’investisseur-tiers que le client devait s’adresser pour obtenir les informations sollicitées. La question de savoir si l’obligation de reddition de compte s’applique également au contrat de courtage (qui semble être la qualification exacte de la base juridique de l’obligation (ii)) n’a pas été tranchée.

Enfin, s’agissant de l’obligation (iii), la Cour de Justice a ordonné à la banque de remplir son obligation de reddition de compte en fournissant au client l’entier de la correspondance échangée entre la banque et les notaires concernés. Ce volet de l’obligation de reddition de compte n’a pas fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral.

Cette jurisprudence, et en particulier l’arrêt de la Cour de Justice, a le mérite de « décortiquer » de manière très didactique les différents rapports juridiques qui peuvent se nouer en amont et dans le cadre d’une relation de crédit, ainsi que les obligations d’information et de reddition de compte qui peuvent en découler. Ces arrêts n’abordent en revanche pas le droit d’accès aux données personnelles, tel que prévu par l’article 8 de la loi fédérale (actuelle) sur la protection des données (la « LPD« ) et les articles 23 et 24 du projet de révision de la LPD. Le droit d’accès découlant de la LPD semble avoir été évoqué dans un jugement rendu par le Tribunal de première instance au début de cette saga judiciaire, mais écarté au motif que les informations recherchées ne concernaient pas la cliente, mais des échanges intervenus entre la banque et l’investisseur-tiers.