Aller au contenu principal

Procédure d'enforcement

La pratique de la FINMA sanctionnée par le TAF

Le 11 juin 2018, le Tribunal administratif fédéral a rendu six arrêts similaires dans lesquels il précise les droits procéduraux des collaborateurs d’une banque dans le cadre de procédures d’enforcement (B-626/2016, B-635/2016, B-642/2016, B-685/2016, B-686/2016, B-688/2016). Ces arrêts apportent des clarifications sur l’articulation entre la procédure principale menée par la FINMA à l’encontre d’un établissement ayant gravement violé le droit de la surveillance d’une part et les procédures consécutives visant à sanctionner les collaborateurs de cet établissement d’autre part.

À la suite de manipulations sur devises, de violations des règles d’organisation et d’opérations déloyales à l’égard de clients, la FINMA a prononcé des mesures de surveillance contre une banque par décision du 11 novembre 2014. Dans un second temps, la FINMA a ouvert six procédures d’enforcement contre des collaborateurs dudit établissement afin de déterminer leur responsabilité personnelle. Ce faisant, elle a prononcé six mesures d’interdiction d’exercer (art. 33 LFINMA) pour des périodes de 6 mois à 5 ans exploitant ainsi toute l’amplitude de cette disposition.

Dans ces arrêts, le Tribunal administratif fédéral rappelle de manière didactique que les procédures d’enforcement ne sont pas spécifiquement réglées par la PA et la LFINMA. Lorsqu’elle intente des procédures contre plusieurs parties sur la base d’un état de faits identiques, la FINMA dispose de trois possibilités : elle peut ouvrir une procédure distincte contre chaque partie, engager une procédure impliquant plusieurs parties (Mehrparteien-Verfahren) ou intenter une procédure principale à la suite de laquelle plusieurs procédures seront menées. En l’espèce, la FINMA a opté pour cette troisième solution en intentant une procédure principale contre la banque avant de déterminer la responsabilité personnelle des collaborateurs de celle-ci.

La particularité de cette option procédurale réside dans le fait que la procédure principale impacte les procédures subséquentes. Si la qualité de partie et la gestion des dossiers sont différentes pour chaque partie, l’enquête est menée conjointement. Aussi, les procédures individuelles ne sont plus complètes, mais peuvent en principe se baser sur des éléments d’enquête d’autres procédures.

L’une des conditions de l’interdiction d’exercer est la violation grave du droit de la surveillance. En se basant sur la décision entrée en force contre la banque, la FINMA a considéré que cette condition était également remplie pour les collaborateurs et que, par conséquent, leurs allégués ainsi que leurs réquisitions de preuve n’étaient pas pertinents. Le Tribunal administratif fédéral se fonde sur les considérants de l’ATF 142 II 243 (résumé in : LawInside.ch/250 et commenté in : cdbf.ch/946) pour rappeler que cette condition doit être vérifiée pour chaque individu faisant l’objet d’une procédure, alors même que la banque n’a sur ce point par recouru contre la décision de la FINMA. En effet, les collaborateurs n’étaient pas parties à la procédure contre la banque et du point de vue de l’autorité matérielle de chose jugée, la décision qui en résulte ne leur est pas opposable faute d’identité des parties (effet contraignant inter partes des décisions). Le Tribunal administratif fédéral refuse également d’admettre que la décision rendue contre la banque puisse être utilisée comme moyen de preuve afin de démontrer que la condition d’une violation grave du droit de la surveillance a été commise dans le cadre des procédures engagées contre les collaborateurs.

Par conséquent, la FINMA a omis d’examiner l’argumentation des recourants selon laquelle la banque n’avait pas commis de violation grave du droit de la surveillance selon l’art. 33 LFINMA. Cette omission viole l’obligation de prendre en considération les moyens pertinents des parties dérivant du droit d’être entendu, ce qui implique que la FINMA a aussi constaté les faits de manière incomplète.

Ces six décisions s’alignent parfaitement avec la position prise par les juges du Tribunal fédéral dans l’arrêt de principe ATF 142 II 243. Sans être révolutionnaire, le résultat de ces arrêts doit ainsi être salué puisqu’il clarifie et renforce le droit d’être entendu des collaborateurs.

Grâce à ces arrêts, les tribunaux fédéraux rééquilibrent le rapport de force entre la FINMA et les individus puisqu’ils avaient considéré – malgré une position opposée de la doctrine dominante – que les mesures d’interdiction d’exercer ne devaient pas être considérées comme des accusations pénales selon les art. 6 § 1 CEDH et 14 § 3 let. g Pacte ONU II. Bien que les garanties conventionnelles de ces dispositions ne s’appliquent pas, les individus pourront désormais se prononcer sur tous les éléments constitutifs de l’art. 33 LFINMA (et d’autres mesures de surveillance ad personam).

Enfin, ces décisions risquent de modifier la manière avec laquelle la FINMA mène ses procédures d’enforcement. En effet, la troisième possibilité, i.e. procédure principale contre l’établissement suivie de procédures annexes contre les collaborateurs – présente l’avantage de condenser les procédures et d’être efficiente sous l’angle du principe de l’économie de la procédure. Si la FINMA décide dorénavant d’entamer des procédures distinctes contre tous les acteurs, il est fort probable que la durée, les coûts et les ressources engagées dans les procédures d’enforcement s’accroissent les prochaines années, ce au détriment tant des assujettis que de leurs collaborateurs.