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Révision de la LBA

Obligations de diligence étendues aux avocats

Le 1er juin 2018, le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet de modification de la LBA suite à la 4e évaluation mutuelle de la Suisse par le GAFI en 2016.

L’enjeu majeur de cette révision est l’extension de certaines obligations de diligence aux « conseillers », soit des personnes qui fournissent à titre professionnel des prestations liées à la création et à la gestion de sociétés ou de trusts. Une telle approche fondée sur les activités implique dans la lutte anti-blanchiment les professions juridiques indépendantes, notamment les avocats, qui assistent leur client pour la constitution et l’exploitation de sociétés. A l’heure actuelle, ces professions ne sont assujetties à la LBA que si elles pratiquent l’intermédiation financière. Cette dernière notion suppose que les prestations en lien avec des sociétés s’accompagnent de transactions financières au sens de l’art. 2 al. 3 LBA, ou une activité d’organe d’une société de domicile (art. 6 al. 1 let. d OBA).

Sur le plan supranational, la soumission des professions juridiques qui exercent le type d’activités susmentionnées au régime de lutte contre le blanchiment date de la 2e directive anti-blanchiment de l’Union européenne de 2001 et des Recommandations du GAFI de 2003. La compatibilité de la règle avec les garanties individuelles a été admise par la Cour de Justice de l’Union européenne en 2007 en lien avec le droit à un procès équitable, et en 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme en lien avec le droit au respect de la vie privée.

La Suisse fait donc aujourd’hui figure d’exception en Europe et a fait l’objet de critiques tant du GAFI, dans ses 3e et 4e rapports d’évaluation mutuelle, que de l’OCDE, dans son 4e rapport d’évaluation de la Suisse sur la mise en œuvre de la Convention de 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers du 15 mars 2018.

La nouvelle règlementation proposée par le Conseil fédéral reste cela étant en deçà des standards internationaux. Tout d’abord, seules les activités en lien avec des sociétés ayant leur siège à l’étranger – soit des sociétés « offshores » –, des sociétés de domicile ou des trusts, seraient désormais soumises à la LBA. Y échappent en revanche les opérations liées à des sociétés suisses, qui présentent des risques en matière de blanchiment d’argent largement plus faibles. Mais, surtout, seuls deux des trois classiques devoirs des intermédiaires financiers sont étendus aux professions juridiques, à savoir les obligations de vigilance relatives à l’identification de la clientèle ainsi que l’établissement et la conservation de documents. En revanche, les « conseillers » ne sont pas tenus par l’obligation de communication de l’art. 9 LBA en cas de soupçon de blanchiment d’argent. Le Conseil fédéral justifie cette exemption par le fait que les activités des conseillers ne génèreraient en principe pas de flux financiers et que les recommandations du GAFI ne soumettent pas les professions juridiques au devoir de communication en dehors de toute opération financière. La lacune subsiste toutefois dès lors que toute personne qui effectue une transaction impliquant des valeurs patrimoniales n’est pas encore considérée comme un intermédiaire financier, en particulier si elle n’agit pas à titre professionnel au sens des art. 2 al. 3 LBA et 7 OBA. Cette dernière disposition fixe en effet certains seuils quantitatifs – par exemple que le volume total des transactions effectuées par l’intermédiaire financier dépasse 2 millions de francs par année – en deçà desquels la personne n’est pas soumise à la LBA.

L’avant-projet prévoit, en lieu et place d’une communication, un simple devoir du conseiller de refuser la transaction ou de rompre la relation d’affaires. La violation de cette obligation est sanctionnée d’une amende d’un maximum de CHF 500’000.-, respectivement de CHF 150’000.- en cas de négligence.

Une autre modification d’importance est l’abrogation du droit de communication de l’art. 305ter al. 2 CP. Pour mémoire, le système actuel prévoit un droit de communication de l’intermédiaire financier en cas de « simple » soupçon de blanchiment d’argent et une obligation de communiquer selon l’art. 9 LBA en cas de soupçon « fondé » de blanchiment. La pratique récente du Tribunal fédéral adopte toutefois une interprétation large de la notion de « soupçons fondés » et considère qu’un simple doute peut déjà suffire à déclencher une obligation de communication. En conséquence, un même degré de soupçon relève dans une large majorité des cas tant du droit que de l’obligation de communiquer. La coexistence des deux régimes juridiques a été critiquée par le GAFI comme source d’incertitudes pour les intermédiaires financiers.

La suppression du droit de communication entraîne l’abrogation du délai de 20 jours imposé au MROS pour indiquer à l’intermédiaire financier si le cas suspect a été ou non transmis aux autorités pénales (art. 23 al. 5 LBA). Le Conseil fédéral justifie cette modification par l’augmentation prévisible des déclarations d’opérations suspectes fondées sur l’obligation de communiquer vu la suppression du droit de communication. La fixation d’un délai présente toutefois l’avantage d’assurer une certaine célérité dans le traitement des demandes et de ne pas laisser durant un temps indéterminé l’intermédiaire financier dans l’incertitude quant au sort des valeurs patrimoniales qu’il abrite. Une prolongation du délai de 20 jours apparaîtrait plus opportune.

Nul doute que l’extension des obligations de diligence aux professions juridiques et la suppression du droit de communication vont donner lieu à des débats nourris au Parlement.