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Devoir d’information

Le dol dans un contrat bancaire

Le 3 mai 2018, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt 4A_285/2017 en matière de responsabilité délictuelle pour cause de dol lors de l’ouverture de comptes bancaire et de l’obtention de crédits. L’arrêt concrétise le devoir d’information d’un cocontractant, respectivement de son représentant, envers la banque et les conséquences civiles associées à la violation d’un tel devoir.

Une personne (ci-après : le mandataire) entre en relation avec une banque afin d’ouvrir une relation pour le compte d’une société étrangère. Selon les indications du mandataire, la société gérait la fortune d’un club d’investissement. L’entrée en relation est approuvée par l’organe interne compétent, mais est placée « sous surveillance », des renseignements additionnels devant être obtenus au sujet de la société. La banque n’entreprendra toutefois pas les démarches nécessaires à l’obtention de ces informations.

Peu après, la société dépose auprès de la banque un portefeuille de titres cotés en bourse. À la demande du mandataire, la banque octroie à la société des crédits garantis par les titres précités. La banque n’évalue toutefois pas de manière indépendante les titres en question, dans la mesure où il existe une valeur boursière. Une partie significative des crédits sera virée sur un compte indirectement détenu par le mandataire, prétendument au titre de paiement de ses honoraires.

Parallèlement, le mandataire ouvre plusieurs comptes à son nom et obtient des crédits lombards à titre personnel.

Par la suite, des informations négatives au sujet de la société et de son mandataire sortent dans la presse. En substance, la société serait impliquée dans une fraude commise au préjudice d’investisseurs et ferait l’objet d’une enquête de la SEC en lien avec des manipulations de titres (pump and dump scheme) ; le mandataire aurait quant à lui été impliqué dans des opérations douteuses.

Une plainte pénale est déposée par les investisseurs contre le mandataire. La banque résilie avec effet immédiat tous les crédits octroyés. Elle procède également à une communication au MROS en lien avec les valeurs patrimoniales concernées. Le MPC ouvre une enquête pénale et séquestre les valeurs patrimoniales en cause. Avec l’aval du MPC, la banque réalise une partie des titres donnés en gage, à savoir ceux n’étant pas illiquides ou bloqués. Elle actionne le mandataire non seulement en responsabilité contractuelle pour le remboursement des crédits octroyés à titre personnel, mais également en responsabilité délictuelle en lien avec les créances qu’elle détient envers la société. Le mandataire est condamné à rembourser les créances découlant de sa relation bancaire. Fait moins évident, il est subséquemment condamné par les instances cantonales sur le plan délictuel en lien avec le découvert sur le compte de la société.

Le Tribunal fédéral confirme l’arrêt cantonal retenant que, durant le processus d’ouverture de la relation bancaire et de l’obtention des crédits en faveur de la société, le mandataire a induit la banque en erreur sur des points essentiels, à savoir :

  • le fait que la société faisait déjà à l’époque face à des difficultés, notamment avec la SEC et le DoJ ;
  • le fait que les titres remis en nantissement étaient surcotés ;
  • le fait qu’une partie significative des crédits octroyés à la société devaient lui être versée.

Le Tribunal fédéral retient que le mandataire a violé son obligation de renseigner avant et après l’entrée en relation. Ayant ainsi commis un dol, soit un acte illicite fautif, le mandataire est tenu de dédommager la banque.

Les points saillants de l’arrêt du Tribunal fédéral sont les suivants :

  1. Le fait que la société puisse être, en concours, responsable des actes du mandataire n’exclut pas la responsabilité personnelle de ce dernier.
  2. L’obligation de renseigner découle de l’entrée en pourparlers ; une relation antérieure à ces derniers n’est pas nécessaire.
  3. Cette obligation peut porter sur le but de l’utilisation d’un crédit de même que la valeur de nantissement.
  4. Le fait que les banques collectent des renseignements sur leurs clients ne diminue en rien le devoir de ces derniers, respectivement de leurs représentants, de renseigner la banque sur les faits qui peuvent influencer sa décision d’entrer en relation ou conclure certains contrats.
  5. Sont sans pertinence le fait que le mandataire ait été spécifiquement mandaté pour ouvrir les comptes et obtenir les crédits, ou encore le fait que la relation ait été placée sous surveillance.
  6. Lorsque la banque détient des sûretés illiquides ou bloquées, il peut en être fait abstraction dans le calcul du dommage.
  7. Si l’étendue de l’obligation de renseigner ne saurait être réduite au seul motif que l’interlocuteur est une banque, le fait que celle-ci n’aille pas au bout de vérifications qu’elle s’est elle-même imposées peut procéder d’une faute concomitante. Cette brèche permet aux personnes recherchées de plaider une réduction de l’indemnité en raison du non-respect de procédures internes, que le client n’a pourtant pas à connaître.
  8. L’étendue du devoir d’information dépend des circonstances. Dans cette affaire, la violation était délibérée et portait sur des faits déterminants. Elle était difficilement contestable. L’analyse pourra s’avérer moins aisée dans d’autres cas. On rappellera que le Tribunal de commerce de Zurich a nié dans l’affaire Millard un devoir d’information spontané des clients d’une banque relatif à l’existence, au moment de l’ouverture de l’entrée en relation, d’un contentieux fiscal, ayant conduit ladite banque à devoir se défendre devant un tribunal new-yorkais. Cette dernière situation se distingue toutefois de celle où les clients sont appelés à fournir des renseignements, notamment sur la base de formulaires et d’autocertifications. Dans ce cas, le faux renseignement sera illicite, sans qu’il soit en principe nécessaire de se demander si le renseignement porte sur des faits déterminants (ATF 111 II 471).