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Action fondée sur l'art. 715a CO

Droit à l’information des membres du conseil d’administration

Un administrateur d’une société anonyme peut-il saisir le juge lorsque son droit à l’information et à la consultation (art. 715a CO) est dénié ? Dans l’arrêt 4A_364/2017 du 28 février 2018, le Tribunal fédéral répond à cette question par l’affirmative.

A l’origine de cette décision se trouve une requête judiciaire déposée par un administrateur auprès des juridictions civiles du canton d’Obwald. Sur fond de litige concernant la gestion de la société, le requérant exigeait l’accès à divers livres et dossiers de l’entreprise. Il souhaitait notamment consulter les registres des actions et des ayants droit économiques, les procès-verbaux des assemblées générales et des réunions du conseil d’administration, ainsi que différents livres relatifs aux affaires de la société. Les deux instances cantonales rejetèrent toutefois les prétentions de l’administrateur, au motif que l’art. 715a CO ne confère aucun droit invocable en justice.

Saisi d’un recours en matière civile interjeté par l’administrateur, le Tribunal fédéral constate que la doctrine est divisée quant à la recevabilité d’une action condamnatoire fondée sur l’art. 715a CO. Face au texte équivoque de la loi, il recourt à l’ensemble des méthodes d’interprétation usuelles.

En premier lieu, les juges de Mon-Repos soulignent que l’interprétation historique n’apporte aucune réponse, car le message du Conseil fédéral et les débats parlementaires sont muets sur le point litigieux.

Quant à l’interprétation téléologique, celle-ci plaide en faveur de la recevabilité d’une action. En effet, le droit à l’information et à la consultation permet aux membres du conseil d’administration d’exercer efficacement leur fonction. Dès lors qu’une saine gestion est dans l’intérêt de la société elle-même, la simple exclusion de la responsabilité de l’administrateur concerné, préconisée par certains auteurs, s’avère insatisfaisante. Au surplus, l’argument selon lequel l’action en constatation de la nullité de la décision du conseil d’administration (art. 714 CO) constitue la voie adéquate doit être rejeté. D’une part, une telle nullité n’est que rarement reconnue ; d’autre part, seule l’action condamnatoire garantit un accès effectif aux informations requises.

L’interprétation systématique permet au Tribunal fédéral d’écarter l’une des thèses majeures des opposants à l’action judiciaire. Ces derniers estiment que l’absence de référence au juge, contrairement à l’art. 697 al. 4 CO relatif au droit à l’information des actionnaires, témoigne d’un silence qualifié. Or, selon notre Haute Cour, une analyse plus ample des dispositions légales démontre que les droits consacrés par le législateur sont en principe justiciables, même s’il n’existe aucune indication expresse à cet égard. Ainsi l’art. 541 al. 1 CO autorise-t-il les membres d’une société à invoquer leur droit à l’information devant les tribunaux. Inversement, lorsqu’un droit ne peut pas être porté en justice, la loi tend à le préciser (art. 513 CO et 90 al. 3 CC). De surcroît, l’introduction de l’art. 697 al. 4 CO dans la loi ne visait qu’à confirmer un revirement de jurisprudence consacrant l’indépendance du droit à l’information des actionnaires par rapport aux autres droits sociaux.

Enfin, le Tribunal fédéral écarte l’argument selon lequel une action condamnatoire basée sur l’art. 715a CO instaurerait une forme de contestation des décisions du conseil d’administration, ce qui contreviendrait aux fondements de la société anonyme. Les juges de Mon-Repos soulignent que l’intangibilité des décisions de l’organe exécutif, sous réserve des cas de nullité, ne s’oppose pas à ce que la société soit l’objet d’une décision condamnatoire. Le Tribunal fédéral en avait ainsi jugé dans les cas où des actionnaires exigeaient leur inscription au registre des actions ou l’émission de leurs actions. Dans la mesure où le conseil d’administration exprime uniquement la volonté de la société quant au droit à l’information et à la consultation, seule cette dernière dispose de la légitimation passive ; un administrateur peut donc exercer son droit consacré par l’art. 715a CO devant les tribunaux à l’encontre de la société sans pour autant contester une décision du conseil d’administration en tant que telle.

Sur le plan procédural, le Tribunal fédéral relève que les impératifs de célérité et la similitude avec l’art. 697 al. 4 CO imposent que l’action fondée sur l’art. 715a CO soit jugée en procédure sommaire.

Cette jurisprudence s’écarte de la pratique de certains tribunaux cantonaux, qui déclaraient une telle action irrecevable (SJ 2000 I 437). Au-delà de l’argumentation juridique avancée par le Tribunal fédéral, le considérant 5.2.2 apparaît d’un intérêt particulier, puisqu’il présente brièvement les intérêts qui sous-tendent cette décision. En premier lieu, les juges souhaitent protéger les minorités présentes au sein de la société. En effet, l’émergence de dissensions au sein de l’organe exécutif risquerait de déboucher sur une limitation de l’accès aux informations pour l’administrateur isolé qui se heurterait à un refus vindicatif. En second lieu, le Tribunal fédéral songe aux intérêts durables de la société, conformément aux principes développés dans le Code suisse de bonnes pratiques pour le gouvernement d’entreprise, dont les fondements trouvent à s’appliquer plus largement qu’aux seules sociétés cotées. Ainsi, le droit à l’information ne conditionne pas uniquement la responsabilité de l’administrateur ; il protège également la société anonyme en tant que personne morale indépendante de ses dirigeants.

Au vu de l’étendue du droit à l’information des administrateurs, il reste à voir si les craintes des tribunaux genevois se réaliseront : la naissance d’« une multitude de procès aux moindres désaccords » (SJ 2000 I 440).