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Fondations et trusts

Arrêt du TF : l’art. 335 al. 2 CC (interdiction de constituer des fidéicommis de famille) ne relève pas de l’ordre public international suisse

Dans un arrêt du 17 novembre 2009 (4A_339/2009), rédigé en français et destiné à la publication, le Tribunal fédéral (ci-après TF) a jugé que l’art. 335 al. 2 CC, faute d’appartenir à l’ordre public suisse, n’entrave pas la reconnaissance des effets d’une fondation d’entretien liechtensteinoise en Suisse.
La Fondation Y, avec siège à Vaduz, a été constituée en 1987 selon le droit liechtensteinois dans le but de placer et d’administrer les avoirs de la fondation, ainsi que de distribuer – au gré du conseil de fondation – la fortune ou les revenus aux bénéficiaires, constitués par divers membres d’une même famille. Lors de sa constitution, tous les bénéficiaires étaient domiciliés en Suisse. En mars 1993, la Fondation Y a ouvert un compte bancaire auprès de X S.A., avec siège à Genève. Par la suite, le compte a fait l’objet de prélèvements illicites de la part de l’une des directrices de la banque, se trouvant également être l’une des bénéficiaires de la Fondation Y. En mars 2008, cette dernière a actionné la Banque X en paiement d’une somme de près de CHF 3 millions plus intérêts, alléguant que le défaut de surveillance de la banque avait facilité les agissements illicites de sa directrice.
L’art. 335 CC prohibe la constitution de fidéicommis de famille, le terme visant tout patrimoine spécial (Sondervermögen) lié à une famille de façon inaliénable, dont le but est de garantir le niveau de vie de ses membres selon un ordre de succession déterminé. Le TF a considéré que cette norme ne constituait pas une « loi d’application immédiate » au sens de l’art. 18 LDIP (aspect dit « positif » de l’ordre public) pour les raisons suivantes. Le fait que notre ordre juridique ait toléré la persistance des fidéicommis de famille constitués avant l’entrée en vigueur du Code civil démontre que l’institution ne heurte pas de façon insupportable les mœurs et le sentiment du droit prévalant en Suisse. Par ailleurs, les considérations morales et économiques sous-jacentes à la norme (prévenir l’oisiveté et empêcher la prolifération des biens de mainmorte) sont aujourd’hui dépassées et ne correspondent pas à un intérêt supérieur de la Suisse. En cela, le TF s’est rallié à la doctrine majoritaire et à la seule décision rendue jusqu’alors sur la question (i.e un arrêt de l’Obergericht de Zurich paru in SJZ 82/1986 p. 245). Il a ainsi admis la reconnaissance des effets de la Fondation Y en Suisse et, partant, confirmé sa capacité d’ester en justice qui était contestée par la banque.
Il convient de saluer cette décision du TF qui vient clarifier une situation jusqu’ici incertaine. Un doute demeurait quant à savoir si l’art. 335 al. 2 CC pouvait faire obstacle à la reconnaissance des effets d’une fondation étrangère ou d’un trust étranger poursuivant des buts semblables à ceux d’un fidéicommis de famille. L’on sait désormais que tel n’est pas le cas, la norme n’ayant pas de portée internationale. Cette tendance avait été amorcée par le Conseil fédéral dans son Message relatif à la ratification de la Convention de la Haye sur les trusts (FF 2006 561-618). Le principe est aujourd’hui clairement posé par la jurisprudence fédérale. En particulier, cette décision désamorce le conflit qui existait jusqu’à présent entre la volonté de la Suisse de favoriser la reconnaissance des trusts étrangers et l’interdiction des fidéicommis de famille contenu dans son droit matériel.