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Convention de Lugano

La Cour de cassation française tire à nouveau sur les clauses de for asymétriques

 Le 25 mars 2015, la Cour de cassation française (Cour de cassation, Chambre civile 1, N° 13-27264), a rendu un nouvel arrêt important en matière de clauses de for asymétriques au regard de la Convention de Lugano.

Ces clauses se rencontrent fréquemment en matière bancaire, en particulier dans le cadre de financements, et offrent à une partie (typiquement la banque) un choix de tribunaux plus large qu’à l’autre (le client, qui est en général restreint aux tribunaux du siège voire de la succursale de la banque). Elles ont pour objectif, en particulier, de permettre à la banque de recourir (également) aux tribunaux du domicile du client, à ceux du lieu de situation de ses actifs (si différents), voire à tout autre tribunal compétent.

Le litige concernait une société française qui avait conclu avec Credit Suisse deux contrats-cadre de crédit incluant la clause suivante : « L’emprunteur reconnaît que le for exclusif pour toute procédure est Zurich ou au lieu de la succursale de la banque où la relation est établie », la banque étant toutefois « en droit d’ouvrir action contre l’emprunteur devant tout autre tribunal compétent ».

Suite à l’exception d’incompétence soulevée par la banque, la Cour d’appel d’Angers avait confirmé la validité de la clause au regard de l’art. 23 al. 1 de  la Convention de Lugano. La Cour de cassation a annulé l’arrêt de la Cour d’appel, en considérant que celle-ci aurait dû rechercher si le déséquilibre lié à la clause d’espèce,  qui ne « précisait pas sur quels éléments objectifs cette compétence alternative était fondée, n’était pas contraire à l’objectif de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivi [par la Convention de Lugano] ».

L’arrêt semble ainsi sous-entendre que la référence faite par la clause à tout autre tribunal « compétent » ne remplit pas l’exigence de précision des éléments objectifs posée par la Cour de Cassation (cf. notamment D. Draguiev, 21 mai 2015 ), ce qui rendrait la clause de for invalide, alors même qu’elle conduirait (si elle était reconnue comme étant valide) à l’application des rattachements objectifs prévus par le droit international privé, notamment par la Convention de Lugano.

L’angle d’attaque de l’arrêt est ici différent d’un précédent arrêt Rothschild de la Cour de cassation du 26 septembre 2012, largement critiqué, qui concluait sous l’angle du Règlement de Bruxelles I (remplacé depuis le 10 janvier 2015 par le Règlement de Bruxelles I bis) à l’invalidité d’une clause similaire, conclue entre une banque basée au Luxembourg et une personne physique domiciliée en France,  au motif que la clause était potestative.

Plusieurs juridictions européennes, à l’inverse de la France, ont reconnu, selon nous à raison, la validité de ces clauses, en particulier en application du Règlement de Bruxelles I. D’autres semblent en revanche suivre la ligne de la Cour de cassation française, dont l’influence n’est pas à sous-estimer. En fin de compte, c’est la Cour de Justice des Communautés européennes qui devrait un jour apporter la clarté juridique sur la question.

Cet arrêt appelle au surplus les commentaires suivants :

  • L’arrêt Credit Suisse de la Cour de cassation ne discute malheureusement pas le fait qu’il concernait des parties professionnelles.
  • Le risque d’invalidité lié à ce type de clauses doit être pris en compte en plus de celui bien connu lié au potentiel statut de consommateur du client (cf. art. 15 ss Convention de Lugano).
  • Une invalidité de la clause en raison de son caractère asymétrique n’implique pas nécessairement que les tribunaux français soient compétents pour trancher d’un litige entre une institution suisse et le client domicilié en France. En effet, en cas d’invalidité ou de nullité de la clause de prorogation de for, ce sont les règles ordinaires qui s’appliquent. S’il n’y a pas de consommateur au sens de la Convention de Lugano, celles-ci désigneront souvent les tribunaux suisses en raison de la compétence générale de l’art. 2 Convention de Lugano (tribunaux de l’Etat du défendeur). En matière d’action fondée sur un contrat de gestion de fortune, l’art. 5 ch. 1 lit. b Convention de Lugano ne devrait pas offrir de for alternatif en France, puisque le lieu de fourniture des services de gestion devrait se situer, s’agissant d’une institution suisse, en Suisse. La question du for peut être plus difficile pour des actions intentées sur la base d’autres fondements.
  • Les banques et autres institutions devraient évaluer si, et cas échéant avec quelle formulation et dans quel contexte, ces clauses asymétriques peuvent être incorporées, voire si de telles clauses leur sont véritablement utiles. Les rapports contractuels avec des clients basés en France devraient être prioritairement considérés.
  • Enfin, les clauses arbitrales, exclues de la Convention de Lugano, sont susceptibles d’offrir des pistes de réflexion pour les banques.