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Avant-projets LSFIN, LEFIN et LIMF

Vers un renforcement de la mise en oeuvre des prétentions civiles des clients

Ayant consacré le titre IV de l’avant-projet de la LSFIN (AP-LSFIN) aux prétentions de droit civil, le Département fédéral des finances (DFF) souhaite faciliter par différentes mesures l’exercice et la mise en œuvre des droits des clients à l’égard des prestataires des services financiers (le prestataire).

Sans prétention d’exhaustivité, nous soulèverons les points suivants :

Droit à la remise de la documentation

Sur la base du seul droit à la reddition de compte fondé sur l’art. 400 CO le client n’avait pas accès à l’intégralité de ses données bancaires. Pour tenter d’avoir accès à des informations plus étendues, les clients avaient également recours à l’art. 8 LPD. Cette voie ne semblait pas davantage aider les clients à accéder à toutes les informations les concernant (cf. commentaire no 821). L’art. 72 AP-LSFIN vient donc combler une lacune du droit actuel puisqu’il précise l’étendue de la documentation à laquelle le client aura accès et vient renforcer le droit à la reddition du compte. En effet, le client aura droit à la remise d’une copie de son dossier et à l’intégralité des documents le concernant. Sont ainsi concernés tant les documents sous forme papier, que les documents, les fichiers ou les données de toute nature gérées électroniquement pour autant qu’il s’agisse d’information et de documentation déterminantes que le prestataire est tenu gérer en raison de l’art. 15 AP-LSFIN (rapport p. 79). Feront néanmoins exception à cette obligation de remise de la documentation « uniquement les documents purement internes, tels que les études préparatoires, les notices ou les projets de contrat, pour lesquels aucune obligation d’information et de documentation n’existe et qui ne sont par conséquent pas importants du point de vue de la vérification de la conformité au contrat et à la loi du comportement du prestataire de services financiers » (rapport p. 79 et ATF 139 III consid. 4).

Renversement du fardeau de la preuve en rapport avec l’obligation d’information et d’explication

Contrairement au rapport du DFF du 18 février 2013 (cf. Eléments principaux d’une réglementation possible) qui mettait le fardeau de la preuve du respect de toutes les règles de conduite à la charge des prestataires, l’AP-LSFIN se limite exclusivement au renversement du fardeau de la preuve des obligations d’information et d’explication.

Une disposition (art. 74 AP-LSFIN) qui instaure le renversement du fardeau de la preuve pour le respect de l’obligation d’information et d’explication à la charge du prestataire nous paraît disproportionnée. En effet, l’AP-LSFIN confère aux clients des droits étendus quant à la remise des documents et des informations par le prestataire de sorte qu’ils disposeront de tous les moyens nécessaires pour prouver une violation de son obligation d’information et d’explication, fait négatif qui jusqu’alors était difficile à démontrer (rapport p.81). De plus comme l’a soulevé une partie de la Doctrine, une mesure moins incisive aurait été possible. Les rédacteurs de l’AP-LSFIN auraient pu prévoir d’intégrer un article similaire à l’art. 13a LCD. Pour rappel, cette disposition permet au juge de renverser le fardeau de la preuve à la charge d’une des parties, si compte tenu des intérêts légitimes de l’autre partie à la procédure, une telle exigence paraît appropriée au cas d’espèce.

En revanche, il convient de conserver la présomption de lien de causalité entre la violation avérée de l’obligation d’information, d’une part, et le dommage réalisé, d’autre part (art. 74 al. 2 AP-LSFIN). Le prestataire aura toujours la possibilité de renverser cette présomption en prouvant que « le client aurait effectué la transaction même si les obligations d’information et d’explication avaient été respectées et que le dommage serait survenu également en cas de comportement conforme aux obligations en question » (rapport p. 82).

Organe de médiation

En plus des organes de médiation existants dans le domaine des banques et des assurances, l’AP-LSFIN prévoit la création d’organes de médiation chargés de régler extrajudiciairement les litiges de droit privé relatifs aux services financiers, entre le client et le prestataire (rapport p.18). Ces organes de médiation seront dépourvus de pouvoir de décision et les prestataires seront tenus de s’y affilier, de participer à la procédure et de contribuer à son financement. Se posera alors la question des interactions entre les organes de médiation prévus par la LSFIN et ceux existants comme l’Ombudsman des banques qui a déjà fait ses preuves dans le domaine bancaire.

Frais de procès : tribunal arbitral ou fonds pour les frais de procès ? 

Dans l’esprit des rédacteurs de l’AP-LSFIN, le risque lié aux frais de procès constitue souvent pour le « client privé » –uniquement–, un obstacle à la saisine des juridictions civiles (cf. art. 4 al.2 AP-LSFIN et rapport, p. 19). C’est pourquoi, les rédacteurs proposent de créer soit un tribunal arbitral, soit un fonds particulier pour les frais de procès.

Compte tenu des coûts financiers importants que représente la création d’un fonds pour les frais de procès –financé principalement par des contributions des prestataires et dont le montant dépendra de la valeur et de l’étendue de leurs services financiers– les prestataires choisiront certainement l’option liée à la création de tribunaux arbitraux dans leur prise de position, sauf à rejeter l’AP-LSFIN dans son ensemble. Comme souligné par le DFF, l’avantage de l’arbitrage consiste dans une procédure rapide, menée par des professionnels du domaine financier et peu coûteuse pour les clients privés. Les clients privés pourront toujours choisir de saisir un tribunal civil ordinaire au détriment d’un tribunal arbitral et ce, au plus tard, au moment de la survenance du litige (art. 85 al. 2 AP-LSFIN).

Enfin, les dispositions régissant le tribunal arbitral nous paraissent lacunaires en ce qui concerne les principes de transparence et de publicité. Il serait souhaitable de prévoir une obligation de publier un rapport, dont la fréquence sera à déterminer, résumant l’activité des tribunaux arbitraux et référençant les cas traités, comme cela existe déjà pour l’Ombudsman des banques. Ce n’est qu’ainsi que les justiciables et la doctrine pourront apprécier l’interprétation et l’application des dispositions de la LSFIN.

Action collective

S’inspirant de l’art. 89 al. 1 CPC, l’AP-LSFIN introduit « une action collective de droit spécial » qui confère la légitimation active aux associations et autres organisations aux conditions de l’art. 101 lit. a et b AP-LSFIN. Contrairement à l’art. 89 al. 1 CPC, l’AP-LSFIN renonce à l’exigence d’« importance nationale et régionale ». Les associations et autres organisations doivent être légitimées dans leur action indépendamment de leur implantation géographique, de leur activité et de leur durée d’existence (rapport, p. 99).

De façon analogue à l’art. 89 al. 2 CPC, « l’action collective de droit spécial » vise à interdire une violation imminente des obligations civiles, à remédier une violation existante ou à constater une violation des obligations en cas d’un intérêt digne de protection (art. 102 AP-LSFIN). Les associations n’auront pas le droit de faire valoir des dommages-intérêts ou d’autres prétentions pécuniaires pour le compte des membres qu’elles représentent. Dès lors, seul le client concerné par l’action collective pourra faire valoir ses prétentions pécuniaires par procédure judiciaire séparée.

L’AP-LSFIN n’a pas prévu une action de nature pécuniaire pour « dommages dispersés », à savoir ceux relatifs aux préjudices de faible valeur causés à un grand nombre de personnes. Une action des associations permettant d’invoquer des prétentions pécuniaires pour les « dommages dispersés », aurait été de nature à garantir une bonne application du droit dans des domaines où l’action individuelle est peu utilisée à cause de la faible valeur du préjudice (cf. Exercice collectif des droits en Suisse : état des lieux et perspectives, rapport du Conseil fédéral du 3 juin 2013, p. 28).

Procédure de transaction de groupe

Tout comme « l’action collective de droit spécial », la procédure de transaction de groupe oppose, d’un côté, les associations ou organisations au sens de l’art. 101 AP-LSFIN et, de l’autre, les prestataires. A la différence de « l’action collective de droit spécial », la procédure de transaction de groupe introduite par les associations et organisations permet –avec l’accord du prestataire– de faire valoir collectivement, les prétentions pécuniaires d’un grand nombre de clients ne participant pas directement à la procédure (rapport, p. 20).

La transaction de groupe doit être approuvée par un « tribunal cantonal supérieur » aux conditions strictes de l’art. 110 AP-LSFIN. Le client concerné par la transaction de groupe pourra toutefois se prévaloir d’un droit de sortie dans le délai fixé par le « tribunal cantonal supérieur » de trois mois au moins à partir de la décision sur l’approbation de la transaction de groupe (art. 111 AP-LSFIN).

Le titre IV de l’AP-LSFIN apporte aussi son lot de nouveautés. Reste à savoir comment cet avant-projet sera accueilli dans les milieux intéressés. Ce n’est qu’en mettant en place un juste équilibre entre le renforcement de la mise en oeuvre des prétentions civiles des clients et des contributions financières non excessives des prestataires que l’attrait de la place financière suisse demeurera intact.