Aller au contenu principal

Relation bancaire

Responsabilité contractuelle de la banque

Dans un arrêt rendu le 31 octobre 2013 (4A_122/2013), le Tribunal fédéral a examiné la responsabilité contractuelle d’une banque, notamment sous l’angle de ses obligations de diligence résultant de la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent (LBA).

L’état de fait peut être résumé comme suit : une société anonyme (V) avait un compte courant auprès d’une banque suisse ; son actionnaire unique (A) avait procuration avec signature individuelle sur ce compte. A a annoncé à la banque que V allait acquérir un restaurant pour CHF 520’000 et recevoir env. EUR 2 millions d’une entité Z. La banque ayant demandé des explications au sujet de ce dernier montant, il lui a été expliqué qu’il devait servir à des opérations d’investissement à Genève. Le versement d’un premier montant de EUR 600’000 sur le compte de V fut jugé inhabituel par la banque au vu du peu d’activités enregistrées par ce compte jusque-là. La banque a reçu des explications, qu’elle a jugées satisfaisantes, de l’administrateur de V, lequel a confirmé les pouvoirs de A et précisé que celui-ci était l’ayant droit économique des fonds déposés sur le compte de V. A la suite de nombreux virements et retraits en espèces opérés par A, le solde du compte de V est passé en cinq mois de EUR 1,4 millions à EUR 3’467. Par la suite, A a été condamné pour abus de confiance aggravé et V est tombée en faillite. Z a vu l’équivalent en CHF de sa créance de EUR 2 millions colloquée en 3ème classe et s’est vue céder une prétention en responsabilité contractuelle contre les organes de V et la banque. Z a intenté action à Genève contre l’administrateur, le réviseur et la banque. Seul, en appel, l’administrateur a été condamné. Z a déposé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral pour obtenir l’annulation du jugement du Tribunal de première instance en tant qu’il rejetait l’action contre la banque.

Dans son recours, Z faisait valoir que la banque aurait violé ses obligations de mandataire en se contentant des explications « incompréhensibles » données par A à propos des transactions identifiées comme « inhabituelles » par la banque, et en donnant suite aux retraits de A alors que ceux-ci étaient « insolites et contraires au but » de la société. Dès lors que la banque avait des doutes sur la provenance des fonds et les dires du fondé de procuration, elle aurait dû intervenir auprès de la société elle-même.

Ces griefs sont écartés par le Tribunal fédéral qui relève en premier lieu que la banque, dans ses relations avec le titulaire d’un compte, répond en principe en vertu de l’art. 398 al. 2 CO, qui impose au mandataire un devoir de diligence et de fidélité. Les règles du mandat s’appliquent au contrat de giro bancaire, qui se greffe sur celui de compte courant. La banque doit faire tout ce qu’elle peut pour assurer la bonne exécution de sa prestation et éviter tout ce qui pourrait causer un dommage au mandant. A défaut, elle engage sa responsabilité. Si elle débite le compte d’un client sur les instructions d’un représentant qui sort du cadre de sa procuration, elle doit recréditer le compte à ses frais.

La banque n’est normalement pas tenue de surveiller les opérations effectuées par un client sur son compte, sous réserve des dispositions en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Elle doit s’assurer que les actes du représentant sont couverts par sa procuration. C’est au client qu’il appartient de surveiller le représentant, étant précisé que la banque ne doit intervenir que si le représentant agit clairement au détriment du représenté.

En second lieu, le Tribunal fédéral précise que les règles prescrites dans la LBA découlent du droit public, de telle sorte que la diligence requise notamment dans l’identification du client et de l’ayant droit économique ne doit pas être confondue avec celle due au cocontractant en vertu des règles sur le mandat. Et de rappeler que la violation d’une obligation prescrite par la LBA ne saurait constituer un acte illicite nécessaire à une action en responsabilité civile au sens de l’art. 41 CO.

En l’espèce, la banque n’avait pas à s’immiscer dans la relation entre le titulaire du compte (V) et l’ayant droit économique (A). Il n’y avait pas de circonstances particulières permettant de conclure à l’existence d’un comportement déloyal de A au détriment de V. Le fait que la banque ait éprouvé des doutes, notamment sur l’ayant droit économique en raison de l’arrivée de fonds importants, ne signifie pas nécessairement qu’elle devait soupçonner un comportement déloyal de A. La banque n’a donc pas violé ses devoirs de mandataire envers sa cliente en ne demandant pas à l’administrateur des explications sur le virement de EUR 2 millions. D’ailleurs, même si une violation du devoir de diligence devait être admise, il faudrait encore établir le lien de causalité entre l’omission de la banque et le dommage, ce qui était loin d’être acquis dans le cas d’espèce.

Enfin, s’il est vrai que les retraits opérés par A ont conduit en quelques mois à une diminution drastique du solde du compte, il n’apparaît pas qu’ils auraient dû être détectés par la banque sous l’angle de la LBA. Les actes autorisés par le but social sont définis de manière large et la banque, au-delà des obligations en matière de LBA, n’a normalement pas à surveiller la légitimité des retraits effectués par un signataire autorisé.

Cet arrêt doit être approuvé. En effet, c’est principalement l’administrateur de la société qui devait surveiller les agissements du fondé de procuration, lequel administrateur, en l’espèce, avait largement failli dans cette tâche. Vouloir imposer à la banque une telle obligation de surveillance reviendrait à en faire le tuteur de son client. Or, comme le Tribunal fédéral a souvent eu l’occasion de l’affirmer, en matière de gestion et de crédit, la banque n’est pas le tuteur de son client.