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Droit boursier

Nouvelle réglementation en matière d’abus de marché

Le droit suisse contre les abus de marché évolue. Le 1er mai 2013, une révision de la LBVM est entrée en force. Cette révision a pour objectif d’introduire un régime de surveillance administrative contre les abus de marché sans égard à ce que leur auteur soit un assujetti ou non, d’étendre le champ d’application de la norme pénale sur les opérations d’initiés et d’élever au rang de crime les cas graves d’opération d’initiés ou de manipulation de cours. Cette révision a  été accompagnée d’une modification de l’OBVM destinée à clarifier ce dispositif, en particulier en introduisant de véritables safe harbours dans ce domaine. Par ailleurs, la FINMA entend revoir sa circulaire 08/38 sur les règles de conduite sur les marchés.

Alors que, jusqu’à présent, le droit suisse s’attaquait aux abus de marché principalement sous l’angle du droit pénal, la révision introduit un régime de surveillance administrative mis en œuvre par la FINMA et destiné à prévenir deux formes d’abus de marché : d’une part, l’exploitation d’informations d’initiés (art. 33e LBVM) et, d’autre part, la manipulation du marché (art. 33f LBVM). Dans les deux cas, ce dispositif se voit doté d’une portée nettement plus large que le régime pénal qui existait jusqu’alors : au regard du droit administratif, toute exploitation d’information d’initié, que ce soit par l’entremise d’acquisition, d’aliénation de titres ou d’opérations sur dérivés, par la divulgation de l’information à un tiers ou encore la recommandation d’acheter ou vendre des titres ou d’utiliser des instruments dérivés est désormais illicite, sans égard à la personne ayant exploité l’information ou son intention. De même, alors que la disposition pénale contre la manipulation de titre se concentre sur la dissémination d’informations fausses ou trompeuses ainsi que les opérations fictives, le droit administratif s’attaque aussi aux opérations réelles ayant pour but de manipuler le cours. Ce champ d’application est d’autant plus large que, contrairement au droit pénal, le droit administratif ne s’intéresse pas aux motivations de l’auteur et ne se limite pas aux actes intentionnels mais couvre les cas de négligence. Ce sont donc de nombreux comportements jusqu’ici licites qui sont désormais couverts par ces dispositions.

Afin de tempérer la portée de ces normes, le texte légal confère explicitement la compétence au Conseil fédéral de créer des safe harbours (art. 33e al. 2 LBVM et art. 33f al. 3 LBVM). Le Conseil fédéral a toutefois fait preuve de retenue : il a limité son action principalement  aux opérations de stabilisation de prix suite à un placement public (Art. 55d OBVM) et aux opérations de rachat d’actions propres annoncées publiquement (Art. 55a ss. OBVM), qui sont ainsi soumis à la double juridiction de la COPA et de la FINMA. Par ailleurs, dans la mesure où toute communication d’information d’initié à un tiers est en principe un cas d’exploitation d’information d’initié, le Conseil fédéral a prévu que le fait d’agir de la sorte en vertu d’un devoir légal ou contractuel ou après avoir attiré l’attention du destinataire quant à ses devoirs restait licite (Art. 55f OBVM). Ces règles constituent de véritables safe harbours, c’est-à-dire que si les conditions d’application sont remplies, l’autorité de surveillance ne peut plus venir établir que, dans un cas particulier, le comportement est illicite. En marge de ces cas, il reste toujours la possibilité de démontrer qu’un comportement n’est pas constitutif d’un abus de marché sans bénéficier de la sécurité juridique offerte par un safe harbour.

S’agissant du volet pénal, les principales modifications ont trait aux opérations d’initiés et au dispositif de poursuite pénale ; l’infraction pénale de manipulation de cours restant dans les grandes lignes inchangée. Désormais, non seulement les initiés primaires définis exhaustivement par la loi à l’art. 40 al. 1 LBVM, dont font parties les organes et dirigeants et administrateurs d’émetteurs et de sociétés liées, et les initiés secondaires, qui reçoivent des informations d’initiés secondaires (art. 40 al. 3 LBVM), mais aussi toute autre personne qui exploite une information d’initié (art. 40 al. 4 LBVM) peuvent se rendre coupables de l’infraction pénale. Par ailleurs, lorsque l’avantage pécuniaire recherché excède un million de francs, tant l’exploitation d’informations d’initiés que la manipulation de cours sont qualifiés de crimes (art. 40 al. 2 LBVM et art. 40a al. 2 LBVM)), ce qui en fait des infractions préalables au blanchiment d’argent et impose donc aux intermédiaires financiers une obligation d’éclaircir l’arrière-plan de transactions suspectes de leurs clients. Enfin, la compétence pour poursuivre ces délits a été centralisée au sein du ministère public fédéral.

Suite à ces évolutions législatives, la FINMA a annoncé son intention de revoir sa circulaire 08/38. Cette circulaire avait pour objet de codifier les attentes de l’autorité de surveillance sous l’angle de la garantie d’une activité irréprochable à une époque où le droit des abus de marché était lacunaire et traité exclusivement sous l’angle pénal.  Maintenant que la LBVM a doté la FINMA d’une base légale applicable à tous les acteurs surveillés ou non, on aurait pu s’attendre à ce que la FINMA se contente de préciser quels comportements seraient acceptables dans une circulaire révisée, ce qu’elle a fait en partie en clarifiant que le market making, l’arbitrage et l’offre de liquidité étaient en principe acceptables, tout en réservant une décision contraire dans un cas d’espèce à la lumière de circonstances particulières. Toutefois, la FINMA propose d’étendre la définition d’information d’initié afin d’inclure non seulement les faits internes à une entreprise comme le suggère la définition légale, mais aussi  les développements se produisant en dehors de sa sphère de contrôle. De plus, elle maintient un régime différencié selon lequel les intermédiaires financiers assujettis à sa surveillance sont soumis à des exigences accrues et elle étend le champ d’application de ce régime des seuls négociants en valeurs mobilières à la plupart des assujettis, y compris ceux qui ne jouent pas un rôle central dans les marchés de valeurs mobilières.  Au fond, ce régime différencié s’applique non seulement aux exigences d’organisation, mais aussi s’agissant des comportements réprimés. Ainsi, les abus de marchés ne sont pas seulement interdits en relation avec des valeurs cotées à titre primaire sur une bourse suisse, comme le prescrit la LBVM, mais aussi en relation avec les opérations portant exclusivement sur le marché primaire, avec les valeurs étrangères ou d’autres marchés, y compris les marchés de matières premières, de changes ou de taux d’intérêts. De plus, même en dehors du champ d’application de la législation contre le blanchiment d’argent, la circulaire continue à exiger des assujettis, en présence d’indice manifeste d’abus de marché, de clarifier l’arrière-plan des transactions et de s’abstenir d’y participer.

En définitive, c’est un renforcement clair du dispositif légal qu’annonce le nouveau droit des abus de marché : tant le dispositif administratif général que le régime spécifique aux assujettis s’annoncent exigeants. Quant au droit  pénal, il devrait voir sa mise en œuvre facilitée par l’inclusion des formes qualifiées d’abus de marché dans le cercle des infractions préalables au blanchiment d’argent et la centralisation des procédures pénales au sein de la juridiction fédérale. Il reste toutefois à voir si ce durcissement se traduira en pratique par plus de condamnations administratives ou pénales.