Aller au contenu principal

Fiscalité

Les négociants peuvent-ils négocier leur assujettissement à la TVA ?

Que faut-il entendre par négociation (Vermittlung) dans les domaines du marché monétaire et du marché des capitaux, certaines opérations de négociation étant « exclues du champ » de la TVA (art. 21 al. 2 ch. 19 let. a à e LTVA) ? Dans un important arrêt 2C_943/2017 du 17 juillet 2019 destiné à la publication, le Tribunal fédéral se penche sur la question et casse l’arrêt attaqué (arrêt du Tribunal administratif fédéral A-5069/2016 du 3 octobre 2017).

Rappelons d’abord succinctement les faits. L’activité de la société intéressée A. AG (sise dans le canton de Zurich) consiste, comme intermédiaire (Intermediärin), à chercher des investisseurs désireux d’acheter des papiers-valeurs à des sociétés partenaires étrangères « offshore ». Conformément à ses accords de coopération avec lesdites sociétés partenaires, A. AG doit chercher les investisseurs potentiels et marchander avec eux les termes du contrat de vente sur la base d’un modèle préalablement établi avec ses partenaires. Si un accord est trouvé entre A. AG et un investisseur, ce dernier signe un contrat de vente avec la société partenaire concernée. Celle-ci doit alors verser à A. AG une provision dépendant du volume du contrat de vente. L’investisseur verse sur un compte suisse son paiement, que A. AG transfère à la société partenaire, après avoir prélevé la somme due à elle-même.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral examine et confirme la légalité de la pratique de l’Administration fédérale des contributions relative aux prestations mentionnées à l’art. 21 al. 2 ch. 19 let. a à e LTVA (Info TVA 14 concernant le secteur Finance [valable à partir du 1er janvier 2010, mais publiée en avril 2012], ch. 5.10, qui règle l’ « activité d’intermédiaire » [Vermittlungstätigkeit]). Le Tribunal fédéral retient que l’activité de négociation doit se comprendre comme une simple intervention, la conclusion d’un contrat par l’intermédiaire en tant que représentant direct n’étant pas requise. Du reste, en référence aux règles du CO, le Tribunal fédéral rappelle que ni le courtier (art. 412 al. 1 CO) ni l’agent négociateur (Vermittlungsagent ; art. 418a al. 1 CO ; au contraire toutefois de l’agent stipulateur [Abschlussagent]) n’agissent comme représentants directs. Cette approche élargit la notion de négociation exclue du champ de l’impôt, en référence tout particulièrement à la pratique européenne (voir notamment arrêt C-235/00 du 13 décembre 2001 CSC Financial Services Ltd et arrêt C-259/11 du 5 juillet 2012 DTZ Zadelhoff).

Partant, le Tribunal fédéral tranche : il y a négociation au sens de l’art. 21 al. 2 ch. 19 let. a à e LTVA, et donc exclusion du champ de l’impôt, aux conditions cumulatives suivantes :

  1. une personne intervient de manière causale dans la conclusion d’un contrat entre deux parties dans les domaines du marché monétaire et du marché des capitaux ;
  2. la personne intervenant n’est pas elle-même partie au contrat en question ;
  3. cette personne n’a pas non plus un intérêt propre au contenu dudit contrat.

La négociation ainsi définie se distingue de l’apport de clientèle (Zuführen von Kunden), qui ne porte pas sur un contrat concret (au contraire de la négociation), mais sur un grand nombre de contrats potentiels futurs non encore concrétisés. Cette activité relève de la prestation de services dans le domaine de la publicité ou de la fourniture d’informations ; aussi, les indemnités correspondantes (finder’s fees) ne sont pas exclues du champ de l’impôt.

En l’occurrence, il n’est pas contesté qu’on ne peut retenir de représentation directe entre A. AG (intermédiaire) et les destinataires des prestations (les sociétés partenaires). Cela étant, les prestations de A. AG relèvent de la négociation (art. 21 al. 2 ch. 19 let. e LTVA) : A. AG a en effet pour obligation contractuelle à l’égard desdites sociétés de rechercher des investisseurs intéressés, de mener avec eux des négociations contractuelles relatives à l’acquisition de papiers-valeurs, en fournissant au surplus des prestations administratives accessoires. L’activité de A. AG vise du reste des conclusions concrètes de contrats et va au-delà de la simple communication du nom de clients. Aussi, A. AG offre une contribution causale en vue de la conclusion de contrat entre les sociétés partenaires et les investisseurs, sans pour autant avoir un intérêt propre au contenu de ces contrats.

Dès lors, le Tribunal fédéral juge que A. AG fournit seulement des prestations exclues du champ de l’impôt. Or, il ne peut pas y avoir d’assujettissement subjectif (voir art. 10 LTVA) en cas de seule fourniture de prestations exclues du champ de l’impôt qui ne peuvent par ailleurs pas être volontairement soumise à l’impôt (art. 22 al. 2 let. a LTVA). Aussi, c’est à juste titre que l’Administration fédérale des contributions a rejeté la demande de A. AG d’être inscrite au registre des assujettis à la TVA.

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral revient sur son approche adoptée précédemment (arrêt 2C_979/2011 du 12 juin 2012 ; arrêt 2C_686/2007 du 19 mai 2008), puisque la notion de négociation ne s’entend plus uniquement dans le sens étroit de la représentation directe (voir art. 20 al. 2 LTVA, acte express au nom et pour le compte d’une partie à une opération). Certes, ces arrêts ont été rendus sous l’empire de l’ancienne législation en matière de TVA (en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009). Toutefois, la disposition légale topique demeure inchangée, de sorte qu’il y a bien changement de jurisprudence.

Aussi, l’Administration devra vraisemblablement examiner la portée exacte de l’arrêt sur sa pratique. En tout cas, pour leur part, les entreprises concernées doivent désormais s’aligner sur la pratique de l’Administration, du moins dans la mesure où elle a été validée par l’arrêt.